Chapitre IV : Tes yeux couleur cerne

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(Artiste : ??? Mon prof d'emc nous a demandé d'inventer un régime politique et je sais déjà qui seront mes premières victimes

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(Artiste : ??? Mon prof d'emc nous a demandé d'inventer un régime politique et je sais déjà qui seront mes premières victimes...)

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"Tu es un monstre !"
Les yeux ambrés de Cyno s'écarquillèrent vivement, la seconde d'après, il était dressé comme un pic, le cœur cognant douloureusement dans sa cage thoracique. Haletant et sentant de nombreuses sueurs froides tremper son corps tremblant, il s'agrippa aussi fort qu'il le put au drap qui le recouvrait. Ses lèvres frémissaient dangereusement sous sa respiration frénétique, il était incapable de dire si sa vue était troublée par ses larmes ou ses sentiments. Sa panique se renforça lorsqu'il constata qu'il ne reconnaissait même plus le paysage environnant. Les sourcils plissés par l'amertume, il se força à prendre de grandes inspirations à intervalles réguliers, des sanglots venant par moments interrompre l'exercice. Il lui fallut de nombreuses minutes avant de retrouver son calme, son anxiété fut rapidement remplacée par un vide accablant qui le fit se recroqueviller sur lui-même.
Il était dans le salon commun des matras. Seul. À son plus grand soulagement.
Le général avait dû le couvrir en l'apercevant assoupie sur le canapé, il ne voyait pas vraiment qui d'autre aurait put avoir une approche aussi paternelle à son égard.
Le visage coincé entre ses genoux, Cyno écoutait le cliquetis répétitif de l'horloge sur laquelle reposait une aiguille en bronze pointue, indiquant qu'il était bientôt quatre heures du matin. Des livres éparpillés sur une table basse en bois sombre et vernis semblaient avoir été pris dans une tempête, certains étaient ouverts, d'autres lâchement dépliés, aucun n'était vraiment impeccablement positionné, ce qui démangeait quelque peu les doigts brûlants du jeune matra. Les tissus sur lesquels reposait autrefois le buste de l'adolescent étaient mouillés, il eut la sensation désagréable de nager dans une mare de liquide gluant et puant.
Frémissant au contact du tapis doux et agréable qui venait caresser ses orteils, Cyno se releva péniblement de son berceau, décidé à quitter les quartiers publics pour rejoindre sa chambre, plus discrète et intime. Titubant jusqu'à cette dernière, il trébucha sur le pied d'un meuble et lâcha un flot d'injures involontaires mais bien pesées. Son corps était terriblement froid, et ses émotions ne se manifestaient plus que sous une indifférence totale au paysage qui le couvait, après avoir ressenti une telle peur, l'habitant du désert avait l'impression de ne plus pouvoir éprouver quoique ce soit, hormis ce néant ineffable qui le guettait depuis lors.
Lorsque la porte fébrile de son humble demeure se referma sur son passage, le jeune homme poussa un grognement de soulagement, et s'affala sur le sol. Il était fatigué, mais ses yeux refusaient de se fermer.
Combien de temps mit-il avant de se glisser sous une douche chaude et apaisante, cinq minutes ? Une demi-heure ? Deux heures ?
Il refusait de regarder n'importe quel bibelot temporel. Ne souhaitant qu'une seule chose, que le temps s'arrête, pour lui, pour son cœur, pour le laisser seul et invisible, dans l'obscurité de la pièce. Il s'assoupissait debout, les épaules voûtées et ses bras enlaçant son torse fébrile. Sans vraiment contrôler ses mouvements, il s'assit sur le carrelage frais et dur, sentant son bas du dos le tirailler terriblement. L'eau brûlante lui tombait dessus comme une pluie torrentielle et purgative. Ses yeux clos, sentant au maximum le liquide traverser chacun de ses pores, tracer les lignes imparfaites de son corps, voyager le long de son être sans jamais s'arrêter, tel un ruisseau qui creuse les flancs des montagnes. Il s'égarait impudiquement dans ses pensées, une migraine le lançant et lui répétant tu es un monstre, tu es un monstre, tu es un monstre. Peut-être que c'était l'émoi de sa tristesse ne pouvant se manifester, le nuage de fumée qui rendait son esprit en constante ébullition, sa crise d'angoisse qui l'avait réveillée au milieu de la nuit, ou le stress accumulé depuis une éternité, peu importe, sa gorge le serrait comme si elle le strangulait de l'intérieur, son cœur se fondait dans la combustion environnante, les extrémités de son corps étaient brûlantes, de froid, il était comme un cadavre dans un bouillon de folie. L'exaltation prônait sur son âme, l'empêchant de se mouver en quoi que ce soit d'autre qu'une boule ridiculement souple. Il voulait disparaître.
Un bruit sourd et fracassant le fit relever son nez d'entre ses jambes. Tout à coup interrompu dans sa morosité, Cyno se releva finalement, refermant le pommeau au maximum, des traces de shampoing encore distinctes sur le sol immaculé.
Les yeux de l'adolescent rencontrèrent la carcasse vidée d'un flacon qu'il conservait depuis quelques mois. Le liquide jaunâtre s'en était échappé et n'était plus récupérable, faisant naître une pointe de frustration chez le matra. Il serra des dents en ramassant de verre éparpillé, ignorant les alertes que son cerveau tentait désespérément de lui donner, se fichant de la possibilité de voir du sang apparaître à la suite d'un contact trop passionné. Alors qu'il allait saisir le dernier morceau, un de ses doigts le piqua, lui arrachant un rictus spontané. Une goutte écarlate s'était formée sur son index gauche, captivant le regard ambré de son propriétaire, hypnotisé par la couleur de sa propre hémoglobine. Un éclat lumineux vint toucher ses pupilles dilatées, il provenait d'une riche inscription finement taillée, sa couleur émeraude contrastait avec le flux carmin qui la tachait. Cyno ignorait pourquoi, mais cette opposition flamboyante lui fit reprendre conscience d'un flot d'émotions ravagées.
Tighnari.
Sa peau basanée et empourprée n'était rien comparée au vert limpide qui brillait de mille feux dans la pièce. Délicatement, il effleura l'inscription, un air hébété et fasciné accolé sur son visage juvénile.
Tighnari.
Un frisson le secoua douloureusement, lui faisant reprendre ses esprits. Il cligna plusieurs fois des yeux avant d'aller abandonner le verre, hors de sa portée.
Il réussit finalement à jeter un coup d'œil vers une pendule, qui indiquait qu'il était bientôt six heures et demi du matin.
Il soupira doucement tout en s'habillant de son uniforme fétiche, ou du moins, pour le moment. Certaines articulations étaient encore trempées, mais Cyno n'en avait pas grand-chose à faire, perdu dans la contemplation de son mur beige et crémeux.
Tighnari.
Ses sourcils se froncèrent un long moment, repliant maladroitement sa manche, enfouissant rapidement quelques affaires dans une sacoche qu'il savait inutile, grignotant abstraitement un pain de maïs sec et fade, vieux de quelques jours.
Sa routine semblait encore plus longue que d'habitude, bien que son souhait que le temps s'éternise se soit réalisé, l'habitant du désert sentait un étrange désappointement peser sur sa conscience.
Ce n'est que lorsque le cliquetis du verrou contre l'encadrement de la porte annonça son départ que son cœur vibra fébrilement.
Tighnari.

Le commandant qui m'aimait - [CYNONARI]Where stories live. Discover now