7 - Doute

58 5 0
                                    

Je passe un doigt distrait sur ma lèvre inférieure, le glissant parfois entre mon piercing et ma peau. Je ferme les yeux un moment, essayant de coupant court à mes pensées, toutes tournées vers Claire. 

La musique tonne tellement fort dans ma chambre que je n'entends pas le garde hurler « récréation », ou alors la porte de ma cellule s'ouvrir. Enfin, j'ai droit à mes pauses, mais si je n'entends pas lorsqu'elles commencent, ça ne va pas aider. 

Lorsque quelqu'un se jette sur mon lit, je sursaute et recule brusquement. Je manque d'en tomber, mais une main sur ma taille me retient. J'explose de rire en voyant Zayn me regarde en riant lui aussi. Il me ramène au centre du lit, avant de passer ses mains dans sa nuque. 

–– Espèce d'idiot, tu m'as fait peur. 

–– Je le sais, il déclare en souriant. Alors, est-ce que ça va ? 

–– Pas réellement. Je suis fatiguée. Emotionnellement parlant. 

Il hoche la tête, tournant son regard vers moi. Nos épaules sont collées et j'écrase un de ses bras, qui sont croisés derrière son visage. 

–– Tu as parlé à ton thérapeute ? De Claire et tout ça ?

Il est vague, il sait que je n'aime pas en parler. Je hausse les épaules, articulant un « plus ou moins » distrait. 

–– Ce n'est pas important. Je n'aime pas cet homme. 

–– Et il ne m'aime pas du tout, il articule, me faisant sourire.

Je me retourne, rabaissant mon tee-shirt en me mettant dos au garçon. En réalité, je suis tout au bord du lit et je me demande s'il ne va pas me pousser sur le sol juste pour rire. Mais non, il ne le fera pas... Enfin, je l'espère. 

Je me contente de rejeter mes pensées au plus profond de mon subconscient. Je ne dois pas me préoccuper de Claire maintenant. J'ai réussi à l'éloigner de moi pendant trois ans, même si elle me colle à la peau. Je tente vaguement de réfléchir à ma situation, mais en réalité, je n'ai pas de situation. Je suis juste... Perdue. Dans un mélange de tristesse, de culpabilité et de haine. 

Et si je n'avais pas tué Claire ? Je sais très bien qu'aujourd'hui, je ne le ferais pas. Si tout cela venait à recommencer, je ne le ferais pas. Je la laisserais vivre, mais surtout... Je ne me laisserais pas faire. Je serais plus forte qu'elle. Je la battrais à son propre jeu, à tel point qu'elle devrait peut-être se résoudre, elle, à me tuer. 

Quelques vagues images du meurtre me reviennent en tête. Et en réalité, cette partie de la soirée est floue. Réellement floue. J'ai comme... Oublié de quelle façon cela est arrivé. J'entends des cris étouffés. Et un bruit sourd, violent. J'entends mon prénom, d'une voix presque satisfaite, puis apeurée. Je vois un couteau, du sang. Mais je ne me rappelle d'aucuns de mes gestes. Je ne me rappelle pas de l'acte en lui-même. Ma conscience a comme... Effacée cette partie-là. Ou alors était-ce l'alcool... Mais je ne peux pas rejeter la faute sur un verre de Whisky à moitié bu. 

Un de mes anciens thérapeutes à dit que j'avais volontairement oublié cette scène, parce qu'elle me hantait. Que je ne voulais pas m'en souvenir parce qu'elle me faisait autant de mal que de bien sûr le moment. Que je me sentais coupable, au fond, sans m'en rendre compte. Que je regrettais, aussi. Mais c'est faux. Je me rappelle de la peur qui m'habitait au moment du meurtre... Et aussi de l'impuissance. Rien, absolument rien, ne semble être ramenée à de la culpabilité. Je la ressens, à présent, mais je ne sais pas pourquoi. Comment pouvons-nous être coupable d'une scène dont on ne se souvient pas ? Je trouve ça contradictoirement douloureux. 

–– Olivia ? 

Je relève le regard vers le Zayn, qui m'observe, les sourcils froncés. Je me suis perdue dans mes pensées. 

–– Excuse-moi, tu disais ? Je demande. 

–– Je disais, coupe Louis. 

Il est à l'entrée de la chambre. Je hausse les sourcils, observant sa silhouette, plantée dans l'embrasure de la porte. Son visage semble fermé, d'ici. Et j'observe en silence sa lèvre, barrée d'un bleu encore profond. Je me sens fière pour ça, il l'a mérité. 

–– Tu as ton rendez-vous avec Liam. Lève-toi et Zayn, dégage de là. 

Zayn articule un « ta gueule », avant de se lever. Je fais de même, enfilant quelque chose de plus décent et des chaussures. Louis me conduit patiemment jusqu'au bureau de Liam, mais je vois qu'il se retient réellement de me jeter des commentaires sarcastiques. Il m'abandonne devant la porte, se contentant de retirer mes menottes en vitesse. 

Et j'entre, m'installant dans le siège, en face du thérapeute, qui ne dit rien, mais referme le livre qu'il était en train de lire. 

Pendant plus de trois semaines, nous ne faisons que parler et ces discussions deviennent les seuls contacts humains dont je peux témoigner. 


« Je ne pense pas avoir fait une obsession... C'était plus comme un cercle vicieux. Elle m'aidait à me sentir vivante, en me rabaissant. Et je prenais, sans m'en rendre compte, le risque de la laisser me tuer. La vie n'a pas d'intérêt si tu n'essayes pas de la perdre. Mais j'ai trop joué avec le feu et... Eh bien, j'ai pris la sienne. » 

« Je trouve le fait qu'il n'est pas fait d'enquête approfondie dingue... Ce n'est pas la procédure, mais en même temps... Je ne sais pas quoi en penser. Tu te dis toi-même coupable, alors c'est la réalité, enfin, j'imagine. Et je pense que c'était soit une obsession, soit une dérivation du syndrome de Stockholm. Je ne sais pas encore... » 

« J'avais l'impression d'être comme– droguée, en réalité. Tout le temps. A chaque fois que je me retrouvais avec elle, j'avais cette impression désagréable de ne pas être dans un état normal. D'être comme sous-cocaïne, dans un état d'euphorie qui cachait seulement une sorte de dépression, je pense... C'est difficile d'expliquer cela. Même moi, je ne comprends pas, je sais seulement qu'elle m'avait dans ses griffes et que j'aurais tout fait pour elle. » 

« Il y a une chose qui me perturbe dans ton cas, Olivia. Tu ne sembles pas être une personne vulnérable. Tu ne sembles pas être, comme... Déprimée ou quoi que ce soit. Tu es certes coupable et tout cela, mais pas renfermée ou... Soumise, si je puis dire. C'est étrange dans un cas de meurtre comme celui-ci. J'aimerais que... Que tu me racontes exactement comment s'est passé le meurtre. » 

« Je n'ai aucun souvenir de ce moment. Ou alors des vagues. Des cris étouffés, sa voix. Des... Des ombres. Mais je n'arrive pas à– à m'en souvenir réellement. C'est comme... Brouillé. » 

« Ton esprit essaye de vaincre le traumatisme et pour cela, il efface les souvenirs qui te font trop de mal. Ce qui n'est pas bon, mais nécessaire, pour une sorte de bien-être fictif. » 

« Je– J'arrive à me souvenir de moments, parfois. Pendant des rêves ou des cauchemars, ou seulement des moments d'absence... Je... Mais jamais le meurtre. Avant ou après. Mais jamais pendant. Je crois que c'est douloureux. J'ai l'impression d'étouffer, de suffoquer, un mal-être absolument affreux. Voilà le sentiment dont je me souviens, pendant le meurtre. Mais aucune culpabilité. De la peur. Mais je ne me sens pas coupable. Plus... Effrayée. » 

« Tu as la réponse. Elle est stockée dans ton subconscient... Mais, ce traumatisme à l'air assez puissant. Je me demande ce que cette fille t'as fais pour que tu sois perturbée à ce point... » 


Je regarde le couteau, dans ma main droite, les yeux écarquillés. Claire est allongée dans le lit, le corps enduit de sang déjà presque coagulé. J'observe son corps en silence, alors que ma respiration saccadée crée un sifflement dans la pièce. Merde, je l'ai tué ? Je ne me souviens de rien. Que des images floues, des cris. C'est tellement pesant. Je regarde son corps, étendu sur le matelas, noyé dans son sang. Je penche ma tête à gauche, l'examine. Je regarde ses mains pleines de sang. En réalité, une seule d'entre-elles l'est. Son visage ne contient plus aucune expression et sa peau est blafarde. 

–– Claire ? Je murmure d'une petite voix. 

Mais elle ne répond pas. Evidemment, elle ne répond pas. Elle est morte, froide, sans vie.

Est-ce que je l'ai tuée ?

ClaireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant