Mission 16 : s'excuser

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Les yeux ronds, nichés dans des lunettes en culs de bouteille, un vieil homme inspecte minutieusement la prothèse de Cathy. Assise sur une table, elle attend que ce dernier termine. Après de longues minutes, il la fait marcher dans la pièce, puis poser face à un mur blanc.

— Rappelez-moi ce que vous faites déjà comme métier ?

— Archiviste...

Il fronce ses sourcils broussailleux et croise les bras : difficile de la croire. Elle aussi n'y croirait pas si elle devait se raconter ses aventures. On peut lire littéralement dans le regard du spécialiste : "elle se fout clairement de ma gueule, et doit jouer dans un cirque entourée de clowns trapézistes kamikazes".

— Rhabillez-vous. Bon, je ne sais pas ce que vous faites à votre nouveau travail mais votre prothèse n'est pas adaptée. Il vous faut en commander une autre : votre appareil commence sérieusement à en pâtir. Je n'ai jamais vu ça...

Cathy hoche la tête. À part quelque serrage de vis et un petit rééquilibrage pour corriger un pas légèrement boiteux, elle n'est pas plus avancée. Malheureusement, une deuxième prothèse ne sera pas remboursée, et pour s'acheter exactement ce qu'elle veut Cathy envisage d'attendre d'avoir plus d'argent.

Elle repense au salaire de Corporate :  il n'est clairement pas négligeable et elle aurait de quoi se l'offrir dans quelques mois, en mettant de côté. Mais pour ça il faut y retourner, avec tout ce que ça implique, et espérer que la prothèse tienne le coup jusque là. 

₍⑅ᐢ..ᐢ₎

Troisième jour, début de soirée. Cathy ne s'est jamais autant ennuyée. Le genre d'ennui qui distord la perception du temps : le rendant plus lent, et mou. Mou comme un caramel mal salé,  qui ne vient même pas de Bretagne et qui colle aux dents.

Cathy doit doit prendre une décision.

Mais rien à faire : quand elle positive, les images du couvre-feu reviennent tel un "flashback jump scare" et la font douter.

À l'inverse, quand elle pense ne pas y retourner : les souvenirs de Luan, Mika , Daniel et Vincent la font sourire. Ses rencontres avec Al et ses photos, qu'elle n'a pas réussi à supprimer de son téléphone, la font rougir.

Dans son Kigurumi licorne, armée d'un pot de glace Peanuts Butter, d'un chat ronronnant, et des derniers épisodes de son KDrama : Cathy se laisse fondre dans son cocon douillet. Après une bonne heure, on sonne à sa porte. Elle se lève péniblement, pose sa glace, enfile ses chaussons-moumoutte et va ouvrir. 

Corporate lui a appris une chose : le ridicule ne tue pas et, donc, rend plus fort.

Sa main se pose sur la poignée froide, puis tire la lourde porte blindée et voit d'abord une jolie boîte, entre deux grandes mains masculines tremblantes de stress. À mesure que son regard se lève, Cathy sent son cœur s'emballer. Ses yeux continuent sur une chemise bordeaux dont le premier bouton ouvert laisse percevoir le beau dessin d'une clavicule, puis d'une ravissante pomme d'Adam, suivis d'une bouche exquise, un nez grec, et des yeux...

Savez-vous ce que l'on ressent quand son cerveau fait une erreur 404 ?

Cathy en fait l'expérience imminente : elle tourne de l'œil et s'évanouit. 

Al lâche son paquet pour la rattraper à temps. La situation est très gênante. La soulevant comme une plume, inconsciente, il entre dans l'appartement pour ne pas rester bêtement sur le palier. 

Dans le salon son regard croise celui du chat sur le canapé. Les yeux du félin s'ouvrent en grand, comme des soucoupes, et le jugent : "étranger ! Que fais-tu dans mon temple ?!"

Bienvenue à Corporate [Romance paranormale]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant