Mission 4 : se restaurer

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Vincent tapote nerveusement de son stylo sur le bureau. Ses yeux parcourent des listes interminables, pleines de notations et ratures diverses, accompagnées de tickets de caisse qui ne ressemblent plus à grand-chose. Il soupire et pose ses lunettes de lecture. Un frisson le secoue.

— Tu sais comment me parler n'est-ce pas ? dit-il d'une voix doucereuse à son interlocuteur.

— Comme promis : des listes et tickets de frais à rembourser, en désordre, sans annexes, avec des taches de café et de mayonnaise.

L'homme au Fursac bleu marine esquisse un doux sourire. Il a toujours été comme ça, à aimer la difficulté et les tâches ingrates. Il ne peut pas être affecté dans un autre service où il rendrait volontairement la tâche plus ardu à tout le monde, pour son seul plaisir coupable de souffrir en lisant des présentations PowerPoint mal calibrés et des tables interminables de notes de frais. Il ne peut pas non plus remplacer un absent dans l'équipe des Décapeurs, ça pourrait rapidement dégénérer.

— Tu as vu la nouvelle ? demande Vincent.

— Oui.

— J'ai déjà eu vent de son incroyable performance sur "Ponponpon" : ça a mis un sacré bazar. Qui aurait cru qu'une jeune recrue battrait le record de Martine de la compta à peine arrivée ?

L'homme face à lui ne dit rien et sourit. Vincent ouvre un tiroir dont le contenu est parfaitement rangé, de là, il prend un papier et le lui tend.

— Voici mes suggestions d'affectations pour les jours qui viennent. On a besoin de toi un peu partout comme tu peux le voir.

Vincent fait également office de bureau des plaintes. Quand les employés se plaignent de quelque chose qui dysfonctionne : ils lui envoient un lapin voyageur. C'est une tâche ingrate de s'occuper de tout ça, mais il adore. Après tout, il n'est pas responsable du SAV interne de l'entreprise pour rien. L'homme face à lui glisse ses yeux sur le papier, puis affiche un sourire indéfinissable.

— Arrête de sourire comme ça, on ne sait pas quel sous-entendu choisir avec toi.

— Celui qui te fait le plus plaisir.

Vincent échappe un rire avant de retrouver son sérieux.

— Dommage que tes collègues ne le prennent pas ainsi. Ils n'arrivent pas à savoir si tu fais du harcèlement sexuel, moral, si tu dragues, ou si tu es juste bizarre, maladroit ou encore malaisant.

L'autre hausse les épaules. Vincent soupire et reprend :

— Ce n'est pas comme ça que tu vas te faire des amis et tu le sais non ? C'est ton objectif annuel pour la deuxième année consécutive : fais un effort, s'il te plait.

— J'y travaille... dit-il pensif.

— Tu as rencontré quelqu'un qui t'intéresse ? demande le directeur en arquant un sourcil.

— Oui. 

₍⑅ᐢ..ᐢ₎

Cathy ouvre grand ses yeux et sa bouche d'émerveillement. Jamais elle n'a vu un espace de restauration aussi grand : très haut de plafond et lumineux, des rangées de tables blanches s'étendent à perte de vue, chacune pourvue d'une petite plante verte en pleine forme. Le jour traverse la pièce d'Est en Ouest. Au plafond pendent des plantes et décorations diverses évoquant des lapins et des carottes. Au bout le self n'attend qu'elle.

— Quand t'auras fini de gober les mouches on avance, dit Mika en la poussant du coude.

Les employés de Corporate sont très divers : allant de l'archétype du "salary man" au "baba cool" en chemise hawaïenne. Ça rit, ça parle, ça pleure parfois aussi : il y a beaucoup de vie. C'est un gros contraste, si on devait comparer à la vie dans la ville où les gens se font constamment la gueule, parlent peu, et prennent la voiture même pour acheter une baguette de pain à dix mètres de chez eux.

Bienvenue à Corporate [Romance paranormale]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant