La guerre tonnait aux frontières de Vorique, le sang, répandant son odeur dans les rues, coulait le long des caniveaux. Les hommes s'entretuaient, leurs chevaux se renversaient sous le tonnerre de leurs hurlements de douleur et de bravoure. La guerre perpétuait aux bords de la division des royaumes, où s'opposaient Mystiques et Guerriers, qui finissaient tous deux par se rejoindre en un exacte même point. Les rois des deux peuples se dévisageaient de loin, sans trop oser s'interposer entre les déferlements de sang et les cadavres gisants dans la boue. Ils remontaient leurs populations l'une contre l'autre, assoiffaient leur envie de vengeance et de mort. Thomas, fils du roi des Mystiques, héritier légitime du trône, observait la rivière de sang bordant son château avec des lèvres pincées et un besoin d'agir. Il avait alors saisi son manteau, pris de dégoût, et discrètement contourné les chevaliers et leurs coups d'épées. Il s'était couvert, avait tenté de passer inaperçu pour ne pas être reconnu, et avait pacifiquement rejoint le royaume voisin, sans être démasqué. Le château des Guerriers était vide. Pas de gardes, ni de servants, ni de peuple. Le vent remuait dans la solitude des cours et des jardins, seul le roi semblait admirer la tragédie au sommet de la plus haute des tours de son palais. Le prince découvrit le château d'un œil ébahi. Il tournait sur lui-même, scrutait les peintures chevaleresques, les tapisseries et les toiles, apprivoisaient lentement ce décor si différent de ce qu'il connaissait. Il s'aventura doucement dans les cachots, animé par une curiosité ardente qui le poussait à chaque pas, la froideur des pierres parvint à le faire frémir tandis qu'il longeait les longs couloirs. Des crânes menaçaient les prisonniers du haut des murs, du sang maculait le sol, on semblait avoir capturé les anciens cris de souffrance qui résonnaient encore dans l'horreur des cages. Thomas posait sa semelle à terre quand un homme l'attrapa par le cou et le plaqua contre les grilles d'une cellule. Il appuya la lame d'un couteau sur sa gorge et cracha : « Mourrez en guerre en héros, ou mourrez assassiné en lâche. » Le prince suffoqua, le souffle coupé par la pression que le garçon lui infligeait. Il regarda le visage caché par un capuchon et s'innocenta : « Je ne fuis pas vos ordres, je ne suis pas Guerrier ! Je n'appartiens pas à votre royaume ! » Il vit les yeux sombres s'écarquiller et l'entendit murmurer : « Un Mystique... » L'homme pensa un court instant avant de resserrer sa main sur sa nuque et de jurer : « De la véritable vermine ! Que fais-tu ici ?! Qui t'a envoyé ?! » Thomas tenta d'éloigner le poignard de son cou et haleta : « Personne ! Personne ! Je viens en paix ! » Le garçon relâcha légèrement son emprise et dit : « Cette voix... Tu ne m'es pas inconnu... » Le jeune Mystique s'empressa : « Le prince des Mystiques ! Je suis le prince des Mystiques ! Thomas ! Le fils du roi Trébor ! » L'homme s'écarta et dégaina son épée, qu'il pointa sur son cœur en criant : « Tu n'aurais jamais dû pénétrer sur nos terres ! Tu mourras de froid et de faim dans ces cachots si je ne te tue pas avant !
— Je viens en paix ! répéta-t-il. Je... Je ne veux pas la guerre ! Je ne veux plus que le sang coule !
— Que fais-tu ici ?!
— Je... Je cherchais le prince... le prince des Guerriers ! De votre peuple !
— Que lui veux-tu ?!
— Me concerter avec lui ! En paix, sans trahison ! Il me faut son aide !
— Un Mystique et un Guerrier ? dit-il, relâchant un peu son arme, ébaubi. Tu te payes ma tête ?
— Je le jure au nom des Dieux de mes terres ! Il me faut parler à votre prince, vous devez m'amener à lui ! Je vous en conjure ! »
L'homme, le dévisageant sans haine, fut silencieux un moment. Il retira enfin sa capuche, pour demander de sa belle voix : « De quoi veux-tu me parler, pauvre sot ? » Thomas, submergé par la douce beauté de son rival, ne répondit pas de suite. Il le détailla dans un bégaiement, rougissant de timidité et de satisfaction : « Vous... Vous êtes...