Chapitre 2

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Yeonjun était satisfait de ses horaires. Contrairement à ses attentes, Soobin n'était pas quelqu'un de très actif. Il ne devait que l'accompagner à la fac, l'attendre dans le fond de l'amphithéâtre ou à une distance respectueuse de la table où il mangeait, puis le ramener chez lui. Pour faire des économies, son patron l'avait aussi engagé comme chauffeur pour remplacer du personnel. Yeonjun n'allait pas se plaindre d'une augmentation de son salaire pour passer du siège passager au siège conducteur.

Au début, Soobin avait essayé de l'intégrer à son cercle d'amis. Le faire venir à sa table au lieu de le laisser regarder de loin, présenter les étudiants avec leur domaine et leur personnalité dans la voiture. À chaque essai, Yeonjun déclinait poliment en expliquant qu'il était en train de travailler, et devait garder sa concentration. Petit à petit, ses tentatives devenaient plus rares, mais il continuait à discuter avec lui de questions personnelles. Il avait été surpris qu'il persiste après la désapprobation de son père, surtout après l'avoir observé pendant ces quelques semaines. Il était appliqué, obéissant, poli, intelligent, et s'il osait le dire, même un peu coincé. Ce n'était pas le genre de garçon à insister après un refus. Ou du moins, c'était l'impression qu'il donnait.

« Tu marches déjà avec moi jusque là-bas, qu'est-ce que ça change que je sois à côté de toi ici ? »

Yeonjun regarda dans le rétroviseur, dévoilant un Soobin faisant la moue. Il avait voulu monter à l'avant, Yeonjun avait refusé.

« Je suis ton chauffeur, tu es le passager, c'est comme ça que ça marche. »

C'était le seul point sur lequel il avait cédé à ses demandes ; il le tutoyait. En privé. Il s'était juré de ne pas se rapprocher de lui, mais un changement aussi mineur pour le confort était sans risque.

« C'est une non-réponse. Donne-moi des vrais arguments.

– Tu sais pourquoi le siège passager avant s'appelle la place du mort ?

– Oui, je suis au courant des statistiques. Mais aussi j'ai l'impression d'être un enfant, ou que tu es mon taxi !

– Je suis ton taxi. Ton père a payé pour.

– Mon ancien chauffeur me laissait monter à l'avant.

– Dommage qu'il ne soit plus au volant alors. »

Soobin roula des yeux, retombant en arrière sur le siège. Si Yeonjun ne l'avait jamais vu avant, il pourrait facilement croire qu'il était un fils de riche pourri gâté en train de faire sa crise. Mais il l'avait vu céder sa place favorite de l'amphithéâtre à une personne âgée reprenant ses études, il l'avait vu porter le sac d'un ami en béquilles, il l'avait vu payer le café à au moins une dizaine de personnes se plaignant de ne pas avoir de monnaie devant la machine, il l'avait vu abandonner quand un groupe à la bibliothèque universitaire refusait de faire moins de bruit malgré sa demande. Il semblait que le seul moment où il agissait de cette façon était avec lui. Après un moment de silence seulement dérangé par le bruit du moteur, Soobin reprit la conversation, fixant le plafond.

« Je ne comprends pas pourquoi tu es si à cran sur les mesures de sécurité. Je sais, je sais, c'est ton job, tout ça, et je le respecte, vraiment. Mais... je ne suis pas en danger. Ma peur dans la vie c'est rater mon diplôme, pas me faire assassiner. »

Yeonjun mit son clignotant à gauche, ses mains gantées tirant sur le volant pour tourner.

« Tu as une position à risque.

– Parce que mon père est un ambassadeur ? Quand j'étais petit, oui, protesta-t-il. Je pouvais me faire kidnapper pour de l'argent, tout ça. Et je ne me suis jamais plaint du garde du corps que j'avais avec moi à l'époque, même s'il était beaucoup plus invasif que toi. Mais aujourd'hui, concrètement, je risque quoi ? Qu'un type me mette sur son épaule au milieu du repas et sprint avec moi jusqu'à sa voiture ? Et si quelqu'un veut faire passer un message politique, il visera mon père, pas moi. »

Le conducteur resta impassible, remontant la rue de l'université menant au parking. Soobin soupira, se frottant les yeux.

« Je suis désolé. Je ne voulais pas sous-entendre que ta présence était inutile. Ce que je voulais dire, c'est que je pense que tu peux t'asseoir à côté de moi sans que ce soit une question de vie ou de mort. S'il te plaît ? »

Yeonjun gara la voiture, coupa le moteur. Ils restèrent en silence quelques secondes, puis il se retourna pour le regarder directement. Soobin avait un air un peu pitoyable, et il se mordit la joue. C'était difficile de justifier quoi que ce soit devant ce regard.

« Pourquoi est-ce que tu insistes autant ? » demanda-t-il finalement, et sa question allait au-delà de la place de voiture.

Soobin frottait le tissu de son pantalon entre ses doigts, un signe de nervosité, mais il réussit à maintenir son regard.

« Parce que je veux que tu me voies comme un humain, pas comme un client.

– ... Tu penses que je ne te vois pas comme un humain ? »

Il baissa les yeux.

« Je pense que tu essayes, oui. »

Yeonjun encaissa le coup sans ciller, son ventre se tordant. Il ne pouvait pas nier, parce que c'était exactement son plan ; le garder à bout de bras, le transformer en une notion abstraite d'objet qu'il pourrait traiter sans risque de compromettre son travail. Mais Soobin était une vraie personne, et ce n'était pas correct de sa part de le traiter comme ça non plus. Il fallait trouver un juste équilibre, entre respect et professionnalisme.

Il inspira lentement par le nez, se retournant pour sortir de la voiture.

« Tu pourras monter à l'avant pour le retour. Je ne mangerai quand même pas avec toi, ne me demande pas. »

Et alors qu'il lui ouvrait la portière, il remarqua dans le regard de Soobin une lueur qu'il ne pouvait pas ignorer. Quelque chose comme de l'espoir, ou de la gratitude. Quelque chose qui ne devrait pas lui donner ce sentiment de chaleur en le voyant.

Il lui accordait de le tutoyer, et de monter à l'avant de la voiture pendant leurs trajets.

Et c'était tout.

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