Let It All Go

Chapitre 3

Yeonjun n'avait jamais été très populaire, pas au-delà de la surface en tout cas. Il avait eu des dizaines de premiers rendez-vous qui n'aboutissaient à rien, tout le monde le respectait sans jamais devenir son ami, il était simultanément admiré et mis à l'écart. Quelque chose dans son comportement déconcertait ceux l'entourant, et si son apparence soignée l'empêchait de tomber du côté des parias, il n'avait jamais participé aux grands événements sociaux.

C'est pourquoi, alors qu'il conduisait Soobin à la fête d'anniversaire de son ami, il réfléchissait un tout petit peu trop à comment la soirée allait se dérouler. Il allait rester dans un coin à observer sans un mot, bien sûr. Mais comment est-ce que les autres invités allaient se comporter ? Est-ce qu'il devrait intervenir si une bagarre se déclenchait ? Quelle quantité d'alcool serait en circulation ? De la drogue ? Quel type ?

« Excité d'aller à la fête avec moi ? demanda Soobin à sa droite, penché vers lui avec un grand sourire.

– Non.

– Même pas un peu ?

– Mes sentiments sont activement négatifs.

– Parce que tu n'as pas pu faire un plan de sa maison au préalable ?

– Hilarant. »

Soobin, ayant échoué à faire décrocher son regard de la route, se rassit correctement. La lumière du soleil couchant clignotait à travers les arbres bordant la route.

« J'ai essayé de t'épargner, tu sais. J'ai demandé à papa de me laisser y aller tout seul. C'est pas la première fois que je vais chez lui... »

Stupidement, Yeonjun se sentit presque vexé de l'apprendre. Il avait fait une requête spécifiquement pour qu'il ne soit pas là ? C'était le but. Qui voudrait être avec quelqu'un d'aussi désagréable ? Il travaillait pour ce genre de réaction. Et pourtant, il y avait ce pincement désagréable dans sa poitrine.

« La situation n'est plus la même.

– Elle n'est pas si terrible que ça. »

Yeonjun hésita quelques instants. Il leur restait bien un quart d'heure de route avant d'arriver à leur destination, mais c'était un sujet qui pouvait être délicat. Finalement, il décida de l'aborder.

« Est-ce que tu t'intéresses à la politique ?

– Bien sûr. Je n'ai pas eu beaucoup le choix.

– Non, je veux dire... est-ce que tu sais ? L'état actuel des choses pour vous ? Est-ce que tu as suivi les derniers développements dans ton pays, et les tensions qui en résultent ? Est-ce que tu sais pourquoi je suis là et de qui je suis supposé te protéger ? Parce qu'à chaque fois que tu en parles, c'est comme si tu n'en étais pas conscient, et si c'est vraiment le cas, il faut qu'on en discute. Te garder dans le noir pourrait être un vrai danger. »

Il regarda son passager, juste un instant. Il ne souriait plus.

« Bien sûr que je le sais, répéta-t-il, plus faiblement cette fois. Depuis les attentats, on fait attention. Je sais que c'est sérieux.

– Alors pourquoi tu continues d'agir comme si tout était normal ? »

Yeonjun lui jeta un nouveau regard. Il frottait un pli de son pantalon, la tête tournée vers la fenêtre.

« Parce que je ne suis pas l'ambassadeur, je suis son fils. Qu'est-ce que je suis supposé faire ? Vivre dans la peur que des extrémistes viennent à l'anniversaire de mon ami pour me descendre ?

– Non. C'est pour ça que je suis là. Tu vas t'amuser à la fête d'anniversaire, et moi je m'inquiète pour toi. Idéalement, tu n'as pas à y penser une seule seconde.

– J'espère que tu ne le prends pas mal, mais c'est difficile de ne pas y penser quand tu es tout le temps dans un coin sombre à me fixer.

– Est-ce que c'est pour ça que tu ne voulais pas de ma présence aujourd'hui ? Pour l'oublier ?

– Non, à vrai dire, j'avais vraiment envie que tu viennes, répondit-il, un sourire revenant dans sa voix. C'était un gros soulagement quand papa a dit non. Tu vas enfin rencontrer tout le monde, et cette fois tu ne peux plus refuser ! C'est l'idéal.

– Alors pourquoi tu as demandé à ne pas être accompagné ? »

Yeonjun le regarda à nouveau, son air de confusion reflété dans le visage doux lui faisant face.

« Je me doutais que tu ne voudrais pas venir, alors je me suis dit que la chose correcte à faire était d'essayer de te sauver.

– J'ai jamais dit que je voulais pas venir ! protesta Yeonjun, perdant un peu de sa composition.

– Tu viens littéralement de dire que tu allais passer un mauvais moment !

– Oui, j'ai dit que j'aimais pas, pas que je voulais pas !

– De quoi tu parles ? Ça fait aucun sens !

– Je veux être là, même si c'est pour un anniversaire pénible.

– Pourquoi ? »

Ses mains gantées serrèrent le volant, alors que ses yeux faisaient semblant de vérifier les rétroviseurs pour gagner le temps de formuler une réponse.

« Je veux faire mon travail, même si parfois c'est plus compliqué qu'au quotidien.

– Purement par conscience professionnelle.

– Oui. »

Il sentait le regard de Soobin percer le côté droit de son visage. Est-ce qu'il avait trop été émotif ? C'était si stupide. Il n'avait même pas de vraie raison de ressentir quoi que ce soit sur le sujet. Il devait trouver un moyen de recentrer la conversation.

« Le-

– Je sais que c'est un peu en opposition avec ce que je viens de dire, le coupa Soobin, mais j'aime beaucoup ta présence. Pas spécialement parce que je me sens plus en sécurité, mais parce que j'ai l'impression que tu t'occupes aussi de moi de façon plus large. Tu vois ce que je veux dire ?

– ... Pas vraiment.

– Peu importe. Je ne demanderai plus à mon père de te sortir des moments que tu détestes, si c'est si important pour toi. Tu es coincé avec moi, maintenant. »

Yeonjun était pris au piège, à plusieurs niveaux. Il se sentait toujours en parfait contrôle de la situation jusqu'à ce que Soobin dise ou fasse quelque chose qui le mettait dans une position délicate. Le ton de sa voix sur ces dernières phrases indiquait des choses qu'il refusait d'examiner, et il sentait en lui des vérités menacer de faire surface.

Il ne permettait à Soobin que le tutoiement, la place avant, et l'obligation des heures supplémentaires.

Mais il voulait les faire, alors, ce n'était pas tant un problème que ça.