Let It All Go

Chapitre 14

Changer d'hémisphère, et donc de saison, allait lui demander une période d'adaptation. La lumière dorée frappant le sol en bois laqué de la cuisine éblouissait Yeonjun, qui était arrivé encore à moitié endormi avec le ventre vide. Monsieur Choi était déjà là, attablé devant une tasse de café et accompagné de son fils qui s'affairait devant les placards. Soobin portait toujours son pyjama, un ensemble pantalon chemise bleu ciel aux motifs de nuages. Mignon.

« Oh, Yeonjun, dit-il justement en remarquant sa présence. Tu manges quoi le matin ? Je te prépare quelque chose ?

– Euh... »

Peut-être que c'était le fait que son sourire soit la première chose qu'il voie de la journée, peut-être que c'était le cadre si domestique de la cuisine, peut-être que c'était les émotions de la nuit précédente, peut-être que c'était son manque chronique de sommeil ces derniers jours. Dans tous les cas, il sentit distinctement son cœur rater un battement, et il ferma les yeux un instant pour reprendre ses esprits, feignant la fatigue. Monsieur Choi ricana, un rappel auditif de pourquoi il devait rester impassible.

« Difficile de s'acclimater, hein ? Ne fais pas la sieste et ça ira mieux ce soir, lui conseilla-t-il.

– Oui. Ne vous embêtez pas, je vais m'en occuper moi-même », répondit-il enfin à Soobin.

Il était habitué à ce que Soobin proteste et argumente, mais il se contenta de lui laisser la place avec un hochement de tête. Plus leur relation avançait, plus ces interactions étaient dérangeantes. Leur jeu d'acteur était bon, et il n'était pas blessé par cette distance artificielle. Peut-être que c'était le fait qu'il sache exactement à quel point leur comportement habituel était différent, inacceptable dans ce cas, qui le rendait anxieux. Difficile d'ignorer le progrès d'une relation quand on revient toujours à la situation initiale.

Yeonjun était en train de se faire cuire des œufs au plat quand Monsieur Choi prit à nouveau la parole.

« Ils annoncent une tempête pour ce soir. J'avais prévu de passer la journée à pêcher, mais j'imagine que je devrai rentrer plus tôt.

– C'est pas de chance que ça arrive pendant notre séjour, fit son fils.

– On ne contrôle pas la météo, soupira-t-il. Enfin, il devrait faire beau le reste du temps. Et puis ce sera l'occasion de sortir les jeux de société ! Ça faisait longtemps que tu me devais cette revanche ! »

Pour être franc, Yeonjun espérait que cette activité ne le regarde pas. Quitte à être enfermé, il préférait en profiter pour faire des exercices physiques plutôt que marcher sur des œufs avec son patron. Il transféra sa nourriture dans une assiette, et s'assit avec eux à table en gardant les yeux baissés dans l'espoir de faire profil bas.

« Sans compter que maintenant on a un troisième joueur ! Tu es prêt à te frotter à l'intellect des Choi sur une partie de Trivial Poursuit, Yeonjun ?

– Je ne ferais pas le poids, sourit-il poliment.

– Il est vrai qu'on est à un certain avantage.

– Papa, il n'est pas bête, intervint Soobin, fronçant les sourcils.

– Bien sûr que non, mais le Trivial Poursuit est une question de culture générale, et je me suis assuré que ton éducation était à la hauteur de la mienne. »

Yeonjun jeta un rapide coup d'œil à Soobin, qui avait l'air de débattre intérieurement de si ça valait le coup de lancer une dispute pour expliquer à son père que ses propos étaient désobligeants. Il était temps de rediriger la conversation.

« Vous péchez ? demanda-t-il, toujours avec le même sourire.

– Si je pêche ? Je suis le meilleur pêcheur que je connaisse ! Cette semaine nous mangerons le fruit de mes efforts, s'exclama-t-il, rayonnant de fierté. J'espère que tu aimes le poisson, parce que tu n'as pas fini d'en voir ! J'y passerai mes journées, mais ça fait partie de l'expérience. Être seul face à l'océan, c'est un sentiment comme nul autre.