Chapitre 10 - Mauvaise place [1/2]

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La nuit avait été courte car, une fois de retour au manoir, Gabriel n'avait pu trouver le sommeil.
Malgré son désir de s'éloigner d'Aaron et celui de faire quelque chose pour celle qu'il avait découvert se nommer Eléanora, Gabriel n'avait pu que se résoudre à regagner son foyer, ne pouvant rien faire et trop secoué pour réfléchir à une alternative, mais il avait peiné à trouver le sommeil, hanté par la scène à laquelle il avait assisté, impuissant. Même lorsqu'il avait sombré dans un sommeil lourd, ces images n'avaient cessé de traverser son esprit. L'idée de ce qu'allait connaître cette fille à présent qu'elle était aux mains de l'inquisition l'avait également harcelé.
Sans compter que la colère l'avait également maintenu éveillé, brûlant dans son estomac en le consumant de l'intérieur. Il était plus que furieux, profondément, et toute cette rage était évidemment dirigée contre son protecteur.
La veille, il avait clairement compris qu'il était responsable de ce qu'il s'était passé, de l'arrestation d'Eléanora, bien qu'il ignore pour quelles motivations, et il le lui reprochait farouchement. Il en était même dégoûté. D'ailleurs, il avait toujours cette nausée coincée dans l'œsophage depuis la veille.
Lorsqu'il était rentré, chancelant, l'estomac révulsé, un goût de bile sur la langue, presque en état de choc, Aaron avait tenté de lui parler mais il l'avait ignoré, ne lui adressant pas même un regard, et avait directement gagné sa chambre dont il avait bloqué la porte pour éviter toute visite, même celle de Chrissy, car, même si c'était Aaron qu'il avait voulu esquiver, il n'était d'humeur à voir personne.
D'ailleurs, étendu sur son lit avec les draps remontés jusqu'à son crâne, il ne le voulait pas davantage, dévoré par sa colère. Il ne souhaitait pas croiser Aaron pour écouter ses justifications et ses excuses. Rien qu'à l'imaginer chercher à s'expliquer, la nausée de Gabriel augmentait encore.
Alors qu'il avait toujours ressenti de la reconnaissance, du respect et de l'affection pour l'homme qui l'avait recueilli en lui épargnant le sort que l'inquisition réservait aux magiciens, sort qu'Eléanora devait être en train d'expérimenter, il avait suffi d'une soirée pour que ces sentiments basculent et qu'il le déteste à présent, à tel point qu'il ne pensait même pas supporter de le voir.
Il ne pouvait cependant pas demeurer cloitré dans sa chambre à ruminer sa colère avec les images de l'incident de la veille se rejouant dans son esprit sans qu'il n'y exerce le moindre contrôle, même si il avait l'envie de demeurer enfermé, comme Eléanora devait l'être sans aucun doute, mais, au-delà du dégoût que lui inspirait à présent Aaron pour son acte, manifesté par cette nausée qu'il percevait perpétuellement depuis la veille, peut-être était-ce également une manière de fuir ce qu'il s'était passé, car il ne le supportait pas, préférant le nier inconsciemment plutôt que de le reconnaître.
En effet, bien qu'il ne pouvait se défaire des images qui se répétaient dans ses pensées, une partie de lui-même, une partie inconsciente mais fort présente, préférait se mentir en prétendant que rien ne s'était produit, mais il devait accepter la réalité et la reconnaître, bien que ce soit difficile. Si seulement il avait pu intervenir d'une quelconque façon.
Peut-être également qu'Aaron n'était pas le seul à qui il en voulait, puisqu'il pouvait se reprocher son impuissance.
Toutes ses réflexions s'enchainaient sur fond du visage ensanglanté d'Eléanora et, plus il y songeait, plus il désirait tout nier et effacer, mais impossible.
Alors que l'évènement se rejouait une énième fois dans son esprit, il commença à se demander pourquoi et comment s'était arrivé. Effectivement, il n'éprouvait pas le moindre doute quant à l'implication de son protecteur mais il pouvait s'en étonner, surtout alors qu'il était un homme qui avait sacrifié une grande partie de la vie qu'il avait connu pour protéger et élever deux magiciens. En dénoncer un autre semblait donc totalement illogique, quelque chose n'était pas cohérent, bien qu'il avait avoué à demis-mots être coupable.
Peut-être que, finalement, Gabriel souhaitait entendre quelques explications de la part d'Aaron, surtout pas des justifications car il ne se pensait pas capable de se contenir face à des excuses. Il voulait le confronter à ses actes. A partir de là, il pourrait ensuite décider de la réaction qu'il adoptait.
Sans compter que, bien qu'il soit fortement affecté par cet incident, il jugeait que continuer à se lamenter en se torturant l'esprit avec cette scène était pathétique. Si il se reprochait de n'avoir rien pu faire pour protéger Eléanora, le meilleur moyen de s'auto pardonner était certainement d'agir, même si, pour l'instant, il ne s'agissait que d'aller exiger des comptes à son père adoptif.
Déterminé, il repoussa ses draps et se leva en s'apercevant qu'il portait toujours ses vêtements de la veille, tellement secoué par l'arrestation de la jeune fille aux yeux rouges qu'il s'était directement écroulé sans même se changer, ni même en avoir véritablement conscience.
Ne s'y attardant pas, le jeune homme quitta sa chambre pour se rendre à la salle à manger, estimant que, en cette mâtinée, c'était le meilleur endroit du manoir où chercher Aaron et, en effet, il se trouvait attablé en compagnie de Chrissy.
La jeune fille se tourna vers Gabriel à l'entrée de ce dernier et elle lui adressa un sourire, visiblement soulagée de le voir. Bien qu'elle n'ait pas assisté, comme Gabriel, à la rudesse de l'arrestation d'Eléanora et qu'elle ignorait ce qu'il s'était produit exactement, elle avait remarqué que le jeune homme dirigeait une forte colère envers son père depuis la veille, à tel point qu'il ne lui avait pas adressé la parole, et elle se sentait donc rassurée de constater qu'il les rejoignait, mais elle déchanta bien rapidement lorsque Gabriel lança un regard méprisant à Aaron, ce qui sembla amener ce dernier presque a bord des larmes.
D'ailleurs, l'homme paraissait fortement mal en point, les traits tirés sur un teint cireux, de larges cernes foncés et violacés ourlant ses yeux vairons et une légère barbe blonde sur ses joues, alors qu'il prenait toujours très grands soins à la raser et à parfaitement entretenir son bouc. Apparemment, il n'y avait pas que pour Gabriel que le sommeil avait été insuffisant et la nuit compliquée.
Le jeune homme n'en ressentit pas de compassion, pas plus qu'il ne fut touché par l'éclat de culpabilité présent dans le regard de son protecteur, estimant que c'était la moindre des choses qu'il culpabilise de la sorte et qu'une nuit blanche était moindre.
Le visage durci par le reproche, Gabriel s'avança directement jusqu'à côté d'Aaron et il apposa violemment ses paumes sur la table face à lui en demandant sans détour ni perdre de temps :

Les Yeux du Pouvoir - Tome 6 : Couleurs passé [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant