Chapitre 15 - Soirée dans la maison des belladones

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L'attente dans le bois fut longue, pour certains plus que pour d'autres néanmoins.
Malgré la tension et l'angoisse provoquée par leur situation précaire, ou justement pour la combattre, Lison conversa presque joyeusement avec ses compagnons d'infortune, mais ce fut davantage un monologue qu'elle mena, comme peu des autres lui répondirent.
Il n'y eut guère que Marianne qui participa à cette discussion, mais pas nécessairement verbalement. Au contraire, elle le fit surtout par des hochements du menton ou par des expressions faciales, avec toujours le même calme réfléchi, qui, dans ces circonstances, apaisait beaucoup et aidait les autres à conserver leur propre calme en résistant à la panique susceptible de survenir dans ces circonstances.
De son côté, Shikou se montra particulièrement attentive à ceux l'entourant sans pour autant prononcer un mot ni se départir de son expression neutre et impénétrable, installée sous un arbre avec les jambes repliée sous son corps dans sa robe étrange qu'elle appelait kimono.
Roxanne, elle, aurait souhaité converser avec Lison, comme il n'y avait rien d'autre à faire dans ce bois pour tromper l'ennuie, mais, bien qu'elle tenta d'échanger avec elle, elle ne parvint pas à réellement le faire, car elle se sentait mal, non pas physiquement, bien que son corps souffre encore de quelques séquelles de la peur qu'elle avait ressenti, impuissante face à cet inquisiteur, notamment quelques tremblements dans les mains, mais son malaise était surtout psychique. Elle était écrasée par une forte culpabilité qui pesait sur son corps et broyait sa poitrine, car elle savait que cette situation était entièrement et totalement de sa faute.
Si elle n'avait pas agi stupidement sans songer aux conséquences, les choses n'auraient pas tourner ainsi, ils n'auraient pas tous été obligés de fuir. Du moins, Marianne aurait peut-être dû malgré tout et Lison l'aurait certainement accompagnée, mais Aleksy, Shikou et elle n'auraient pas eu à s'enfuir comme ils y avaient été forcés, ils ne seraient pas soumis au danger actuel mais toujours en sécurité, à l'abri et entretenus dans la demeure de son père.
Elle s'était comporté comme à l'accoutumée, sans se soucier des gens autour et de ce qu'elle pouvait bien provoquer et leur vie à tous avait basculé à cause d'elle et, cette fois, elle ne pouvait pas s'en moquer en affirmant que ça n'avait pas d'importance pour elle.
D'ailleurs, si jamais elle l'avait pu, le regard meurtrier d'Aleksy, qui ne prononça par ailleurs par un mot de toute la journée, ne cessa de porter sur elle se chargea de le lui rappeler en permanence, comme si la culpabilité que sa propre conscience lui faisait éprouver n'était pas suffisante.
Elle n'avait nullement besoin qu'Aleksy lui signale que tout était de sa faute de la sorte pour se sentir si pitoyable, pour être dégoutée par son propre comportement et estimer mériter plus que des coups. D'ailleurs, certainement n'auraient-ils pas dû se préoccuper d'elle en l'emmenant avec eux et la laisser derrière eux. Après tout, pourquoi se fatiguer et prendre le risque d'entrainer à leur suite la fille responsable de leur situation précaire ?
Heureusement, l'arrivée de la nuit mit fin à cette attente dans cette ambiance pesante, en particulier pour Roxanne.
En s'installant dans ce bois, qui s'était présenté comme leur premier et leur seul refuge d'urgence en s'enfuyant de la riche demeure, ils avaient convenu d'un commun accord qu'ils ne pourraient évidemment pas y rester bien longtemps, la principale raison étant que les inquisiteurs appelés par le père de Roxanne, bien que privés de leur seul élément compétent par la magie d'Aleksy, allaient fouiller le domaine et ses alentours, mais ils avaient également jugés bien plus prudent de patienter jusqu'à la tombée de la nuit pour se déplacer de façon à ne pas évoluer totalement à découvert en plein jour.
Encore une fois, ils ignoraient où se rendre ni vers quelle cachette se diriger, à long terme. A part l'idée d'un lieu uniquement peuplé par les magiciens où ils pourraient donc vivre librement leur nature sans crainte de la condamnation, née des propos de Shikou, ils ne savaient pas vraiment ce qu'ils pouvaient envisager pour rester en cette sécurité précaire, espérer pouvoir stabiliser totalement leur situation étant bien trop ambitieux.
Heureusement, Aleksy avait songé à une personne chez qui ils pourraient se rendre momentanément, le temps de se reposer un peu plus confortablement que dans ce bois et de profiter des conseils de cette personne, qu'Aleksy décrivait comme avisée, pour décider de ce qu'ils pouvaient et devaient faire.
Se fiant donc à Aleksy, n'ayant guère le choix puisque c'était la seule possibilité qui s'offrait à eux, ils quittèrent le refuge sommaire du couvert des arbres, Aleksy en tête, pour se diriger vers le sud-ouest.
En s'apercevant que le jeune homme les guidait vers les lueurs des chaumières s'agglutinant sur le domaine du père de Roxanne, les quatre jeunes filles freinèrent, s'inquiétant, en manifestant leur angoisse et leur doute sur la direction que Aleksy leur faisait emprunter. En réponse à ces inquiétudes, le jeune homme leur expliqua que la personne vers qui il les conduisait habitait dans l'une de ces chaumières et, pour les rassurer, il leur demanda si elles lui faisaient confiance ou non.
Lison et Marianne échangèrent un regard circonspect, surprise par cette question. En effet, si elles lui accordaient possiblement leur confiance, il ne s'agissait que d'une confiance de circonstance car elles n'avaient guère le choix si elles souhaitaient survivre.
Roxanne, elle, hocha piteusement le menton pour manifester sa confiance envers Aleksy. Après tout, si elle ne se trouvait pas aux mains de l'inquisition en cet instant, elle le devait uniquement à son intervention, qui lui avait grandement coûté, cependant, elle craignait que le jeune homme méprise sa confiance, placée en lui ou non, de part la profonde contrariété qu'il montrait, à raison, contre elle, et elle préférait donc formuler discrètement sa réponse.
Ne s'attendant pas réellement à des confirmations, Aleksy poursuivit son chemin, les quatre jeunes filles à sa suite, qui lui emboîtèrent à nouveau le pas après cette courte hésitation, que Roxanne ne ressentit pas et que Shikou ne manifesta pas, poussée par la nécessité de la situation.
Par prudence, le jeune homme contourna le hameau de façon à ne pas se risquer à le traverser car, même à la nuit tombée, des témoins étaient susceptibles de remarquer cinq silhouettes évoluant dans l'obscurité à travers leurs fenêtres. Ainsi, ils arrivèrent face à l'une des chaumières par derrière. Heureusement, la maisonnette était légèrement à l'écart du reste et ils ne risqueraient pas de se faire repérer.
Toujours à la suite d'Aleksy, ils s'accroupirent tous sous la fenêtre derrière laquelle s'agitait la lueur d'une chandelle parmi les plantes poussant au pied au mur qu'ils étaient bien incapables d'identifier, sauf Aleksy mais seulement car on lui avait donné leur nom.
Agenouillé entre les plants de belladones, qu'il prit grand soin à ne pas écraser, faisant son possible pour mettre celle les cultivant dans les meilleures conditions pour les recevoir, Aleksy cogna contre le carreau de la fenêtre de quelques coups discrets. Réagissant rapidement, l'habitant ouvrit brusquement la fenêtre, surprenant Aleksy qui ne s'attendait pas à tant de réactivité et qui tomba en arrière au milieu des belladones.
Tenant sa chandelle piquée sur un simple chandelier en fer à bout de bras, Larissa éclaira l'extérieur puis, avisant Aleksy gisant de la sorte sur son séant, elle lança :

Les Yeux du Pouvoir - Tome 6 : Couleurs passé [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant