Chapitre 3 - La vie du port [2/2]

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Cela faisait environ presque trois ans qu'il se trouvait ici, maintenu captif dans cette cage. Raphaël se souvenait du jour où il était arrivé, débarqué d'un navire provenant d'un port du sud, enchaîné et poussé par deux autres hommes.
Par la suite, en échangeant avec lui, Raphaël avait appris qu'il était originaire du nord de l'Afrique, d'une zone aride, mais d'un endroit où il n'avait cependant jamais été accepté à cause de ses pouvoirs. Son peuple l'avait donné à un autre, lorsqu'il n'était qu'un enfant, une peuplade nomade qui avait été intéressée par la capacité que lui conférait sa magie : prédire la mort de tous ceux qu'il touchait.
Des explorateurs envoyés par Monsieur Tessier dans le but de trouver de nouvelles marchandises à échanger, avaient rencontré ses premiers ''propriétaires'' et s'étaient montré tout aussi intéressés par ses pouvoirs, tant qu'ils l'avaient racheté et ramené jusqu'ici.
Raphaël ignorait comment on avait obtenu de l'inquisition qu'il soit détenu sur les quais et non dans les geôles de la forteresse – de toute manière, l'un ou l'autre revenait au même – et, depuis, il était dans cette cage, nourri occasionnellement et parfois conduit hors de ce minuscule espace pour faire quelques pas, profitant d'un arrière-goût de la liberté qu'il avait perdue, quelque chose d'amer et presque de plus cruel que de le laisser perpétuellement enfermé, ou bien pour bénéficier d'un peu d'hygiène.
La dernière de ces sorties remontait à plusieurs jours, comme en témoignait la barbe qui commençait à obscurcir le bas de son visage.
Ce n'était pas uniquement en tant que bête curieuse qu'on le gardait ici mais pour la même raison que celle pour laquelle il avait toujours été échangé : ses yeux rouges. Avant de s'embarquer, particulièrement avant un voyage réputé dangereux ou en période orageuse, les marins locaux venaient se soumettre à son toucher pour savoir si ils trouveraient la mort durant cette traversée et, même si c'était totalement à contrecœur, il s'exécutait toujours, sachant que c'était la seule chose qui lui garantissait un traitement plus indulgent que si il se trouvait aux mains de l'inquisition.
Bien qu'il soit originaire d'un autre pays, il avait très rapidement saisi quel sort on réservait aux magiciens dans cette contrée, tout le monde le saisissait très rapidement.
Si Raphaël avait donc assisté à son arrivée dans le port, il n'avait pas osé l'aborder avant un long moment, retenu par sa grande timidité, bien qu'il ait immédiatement ressenti de l'empathie pour ce magicien et le désir d'aller vers lui pour lui manifester du soutien et de la compassion alors que tout le monde le traitait comme une bête.
Si bien que cela ne faisait pas encore un an qu'ils avaient noué une relation, si c'était bien le terme qui pouvait s'appliquer, pas car Raphaël était parvenu à outrepasser sa timidité mais car le captif lui-même l'avait invectivé en lui demandant pourquoi il ne cessait de rôder autour de sa cage sans pour autant lui adresser la parole, ayant davantage coutume que les marins viennent le consulter aillent directement au but, sans faire de détour.
En plus du malaise et et de la difficulté qu'il avait eus à s'expliquer, Raphaël avait éprouvé de la surprise de l'entendre s'exprimer dans un français parfaitement compréhensible malgré son accent râpeux prononcé. En effet, le jeune captif avait appris les rudiments de la langue en écoutant les conversations menées sur les quais et, à présent, qu'il réussissait à lui parler, Raphaël l'aidait à s'améliorer.
Percevant la présence de quelqu'un s'approchant de sa cage, le captif redressa la tête en rivant son regard sur Raphaël. Ce dernier lui sourit un peu maladroitement, manquant toujours un peu d'aise, quelles que soient les circonstances d'ailleurs.
Commençant par une question banale par courtoisie, bien qu'elle semble totalement stupide dans la situation de son interlocuteur, Raphaël le salua en demandant :

« Bonjour, Salim. Comment ça va ?
- J'ai des crampes aux jambes. J'aimerais pouvoir me lever...
- Je suis désolé...
- Oh, t'inquiète pas. Toi, déjà, tu parles à moi et tu me donnes à manger. Tout le monde le fait jamais.
- En parlant de ça... (Raphaël tendit le pain à la viande à Salim à travers les barreaux). Bon appétit !
- Tout ça ? Demanda Salim en s'étonnant de la quantité de nourriture, habituellement bien moins importante comme Raphaël partageait normalement son repas en deux.
- Oui, il s'est passé quelque chose aujourd'hui et je me suis dit qu'on pouvait en profiter un peu. »

Les Yeux du Pouvoir - Tome 6 : Couleurs passé [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant