Chapitre 2 - La demeure des explorateurs et des secrets [2/3]

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Se retournant, Aleksy et Martial tombèrent face à un garçon de seize ans aux yeux gris, d'une nuance différente de ceux de Martial, et à l'épaisse tignasse blonde sommairement disciplinée, sans beaucoup de succès, en une queue de cheval tombant sur son épaule gauche, vêtu aux couleurs de la famille propriétaire des lieux mais pas sous la forme de l'uniforme des gardes.
Pour cause, il n'était que domestique, arrivé lorsqu'il était enfant, orphelin et sans nulle part où aller alors, en échange du travail fourni, le père de Roxanne lui offrait un toit, comme à tous ses autres employés.
Aleksy ne fréquentait pas particulièrement les serviteurs mais il connaissait ce garçon pour deux choses : sa façon d'accomplir les corvées sans rechigner là où beaucoup se plaignait et l'admiration sans borne qu'il vouait à Martial.
D'ailleurs, c'était un regard luisant d'idolâtrie qu'il rivait sur le capitaine de la garde alors qu'il le saluait, ignorant, volontairement ou non, totalement Aleksy. Pour un peu, ce dernier aurait presque pu être jaloux.
Répondant à cette salutation, Martial s'enquit avec un sourire bienveillant :

- ça va, Tanguy ?
- Oh, c'est un peu le bazar avec la réception qu'organise Monsieur mais rencontrer tous ces gens qui ont vu tous ces endroits si loin, ça fait rêver ! S'enjoua l'adolescent. J'aimerais pouvoir voyager un jour, comme Monsieur Aleksy !
- Comme moi ? S'étonna le monsieur Aleksy en question.
- Bah, vous venez d'un autre pays, vous avez voyagé jusqu'ici, non ? Fit remarquer Tanguy.
- Effectivement, reconnut Aleksy, mais j'aurais pensé que ton rêve était de suivre les traces de Martial, de porter l'uniforme.
- Oui, ça aussi, ce serait extraordinaire !
- Bon, je suis désolé, mais je dois aller faire ma ronde. Annonça Martial.
- Bien sûr, je ne voulais surtout pas vous retenir !
- Et toi, tu as peut-être des choses à faire, Tanguy.
- Non, j'ai fini mes tâches de la journée.
- Ah, ça tombe bien, j'avais un service à te demander. Déclara Aleksy.
- Oui, bien sûr ! Accepta joyeusement Tanguy.
- Te serait-il possible de descendre jusque chez l'apothicaire ? J'ai une commande à récupérer. Dis lui que tu viens de ma part, elle te donnera ce dont j'ai besoin. »

Tanguy acquiesça avec un sourire, toujours aussi enjoué, pendant qu'Aleksy donnait au jeune domestique de quoi payer l'apothicaire, avec quelques pièces supplémentaires en remerciement pour la course. Le salaire que lui versait le père de Roxanne lui donnait la possibilité de se le permettre.
À côté de lui, Martial lui adressa un regard réprobateur, l'accusant d'abuser de la dévotion dont Tanguy faisait preuve, avant de partir pour sa ronde. En réponse, Aleksy haussa les épaules, ne voyant pas ce qu'il faisait de mal comme Tanguy avait accepté avec enthousiasme et qu'il le récompensait pour ce service.
Effectivement, le garçon n'était nullement dérangé par cette mission qui survenait alors qu'il n'avait plus rien à faire au sein de la demeure, et pas car il était payé, n'ayant d'ailleurs même pas remarqué que la somme confiée par Aleksy dépassait le prix des services habituels de l'apothicaire. Si il avait accepté si facilement, ce n'était pas tant pour Aleksy que pour Martial, qu'il admirait profondément.
Sachant que les deux hommes étaient amis, comme il les voyait souvent en compagnie l'un de l'autre, il se disait que rendre service à Aleksy pourrait contribuer à se faire bien voir de Martial. Peut-être était-ce qu'il voyait en ce dernier la figure paternelle qu'il n'avait pas connue mais, finalement, le pourquoi du comment de l'attachement qu'il éprouvait pour Martial lui importait peu.
Il y avait également le fait qu'il appréciait tout simplement aller dans cette maison où l'odeur des plantes et des décoctions imprégnait les poutres et les murs.
Quittant la demeure, Tanguy s'engagea sur le sentier serpentant vers les chaumières situées non loin. Attirés par l'opulence et la richesse des lieux, plusieurs artisans étaient venus s'installer à proximité de la demeure et d'autres chaumières étaient tout simplement les habitations des employés du propriétaire, ceux ayant une famille.
Dépassant les premières, il se dirigea vers une maison légèrement à l'écart encadrée de barrières construites en rondins qui délimitaient un périmètre à l'intérieur duquel étaient cultivées des dizaines de variétés de plantes que Tanguy aurait été bien incapable de nommer et encore moins d'en décrire l'utilité. En revanche, il connaissait le nom de celles aux petites fleurs en clochette violet foncé qui poussaient sous les fenêtres de chaque côté de la porte : de la belladone.
C'était à cause de celle-ci que certains accusaient Larissa d'être une sorcière, mais elle faisait plutôt sourire Tanguy avec amusement, car, en plus de ses vertus anti-douleur à minuscule dose, la raison pour laquelle elle avait été plantée ainsi bien en vue était, justement, d'effrayer pour repousser des prétendants insistants.
En effet, même si elle n'avait rien d'une délicate demoiselle, avec son caractère direct qui ne laissait guère de place au soucis de froisser autrui, Larissa plaisait, notamment grâce à ses grands yeux bleu ardoise qui ressortaient avec le noir de ses cheveux. D'ailleurs, Tanguy pensait également qu'elle était jolie.
S'annonçant, le garçon cogna quelques coups contre la porte. Comme toujours, ce fut avec une expression lassée que Larissa ouvrit. Dès qu'on lui rendait visite, la jeune fille donnait l'impression d'être dérangée et de s'en agacer, pourtant, elle s'attachait toujours à aider autrui immédiatement sans s'en plaindre.

« Encore toi ? Accueillit-elle Tanguy.
- Bonjour, Larissa. Je viens de la part d'Aleksy.
- Il peut même plus faire ses courses tout seul ? Je lui fais peur ou quoi ?

Alors qu'elle lançait cette question, qui n'appelait pas particulièrement de réponse, Larissa fit volte-face pour retourner à l'intérieur de sa chaumière, invitant implicitement Tanguy à l'y suivre. Le jeune homme s'abstint de faire remarquer à Larissa que faire peur était justement ce qu'elle recherchait, notamment par la culture de la belladone sous ses fenêtres.
La chaumière se composait de deux pièces, ce que Tanguy supposait être une chambre, dont la porte était obstruée par un draps, et une pièce à vivre où, quel que soit l'endroit où regarder, le travail de Larissa était présent, par l'étagère chargée de produits, de boîtes et de bocaux étiquetés, l'établis sur lequel se trouvaient différents ustensiles que Tanguy aurait été bien incapable de nommer, les bouquets de plantes qui séchaient accrochés au manteau de la cheminée, aux poutres du plafond ou même aux meubles, ou encore par les cultures en pots disposées ça et là.
Tout en parlant toute seule en reprochant ses manières à Aleksy, Larissa fouilla dans l'étagère à la recherche de la commande du jeune homme.
Il y avait de quoi s'étonner qu'une femme occupe une fonction comme apothicaire, qu'on réservait habituellement aux hommes, et Larissa ne comptait d'ailleurs plus les remarques qu'on lui adressait à ce sujet, mais la jeune femme avait tout simplement remplacé son père, qui avait occupé cet emploie jusqu'à sa mort et qui, à défaut d'avoir eu un fils à qui transmettre son héritage, avait formé sa fille pour lui succéder.
Après quelques secondes de recherche parmi les fioles entreposées sur l'étagère, Larissa extirpa un pot en verre opaque couleur céladon fermé par un couvercle en bois sur lequel aucune étiquette ne spécifiait de quoi il s'agissait.
Le tendant à Tanguy, Larissa l'échangea contre les pièces, celles qu'Aleksy lui avait données. Alors que le jeune homme examinait le pot d'un regard intrigué, circonspect alors qu'il se questionnait sur l'utilité de ce qu'il contenait, Larissa compta les pièces, les sourcils froncés, pour constater qu'elles étaient plus nombreuses qu'elles ne le devraient.
Récupérant son due, elle glissa les pièces dans l'une des larges poches de sa jupes, dans lesquelles elle trainait en permanence plusieurs outils, et rendit le reste à Tanguy en le priant :

- Tu rappelleras à Aleksy que je veux qu'il me ramène le pot. J'en attends déjà trois.
- Je lui dirai ! Par contre, je sais pas quand on va trouver le temps. Avec cette réception...
- Ah ouais, c'est vrai que plein de voyageurs et d'explorateurs vont se radiner. Bon courage.
- Ça va être fantastique ! Tous ces gens qui ont tellement vu ! Peut-être même qu'il y aura des magiciens ! »

Les Yeux du Pouvoir - Tome 6 : Couleurs passé [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant