Chapitre 12 - Angel

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Entendant la porte de la chaumière s'ouvrir en grinçant légèrement sur ses charnières, Lucille délaissa le carré de potager dont elle s'occupait avec Violette, profitant du soleil doux de cette mâtinée de printemps, pour se tourner vers le jeune homme qui en sortait en s'appuyant contre le chambranle.
Avant que Violette ne réagisse, alors qu'elle était celle devant se charger des patients qu'elle recevait, la jeune fille se précipita vers lui, à la fois pour lui proposer son soutien et pour vérifier son état. La repoussant gentiment, il assura, avec son accent, qu'il allait bien et que c'était seulement qu'il venait tout juste de se réveiller, ce qui ne l'empêchait pas pour autant d'être parfaitement peigné et apprêté avec sa lavallière nouée.
Ne se contentant pas de cette affirmation, Violette déclara que c'était à elle de décider si tout allait réellement bien en rejoignant les deux jeunes gens devant la porte de la chaumière. Forçant Victor à se pencher de façon à ce qu'elle puisse observer son crâne – même si Violette était une grande femme, le jeune homme la dépassait – elle examina la blessure dont il gardait une légère marque à la naissance de ses cheveux blonds, Lucille l'ayant soigné de toutes ses forces du mieux qu'elle le pouvait en s'arrêtant juste avant de cicatriser.
Satisfaite de l'état de la blessure, Violette hocha le menton en libérant le jeune homme, qui en profita pour glisser un regard souriant en direction de Lucille, qui détourna légèrement les yeux sur le côté en rougissant. Retournant au potager, Violette étouffa un rire amusé en le remarquant.
C'était la veille qu'Adriel avait ramené le jeune homme blessé. Suite à son réveil, auquel il avait confondu Lucille avec un ange, confusion qu'il avait expliqué assez maladroitement avec beaucoup de gêne, ce qui avait également fortement gêné la jeune fille tout en la flattant et la troublant, il leur avait raconté, parfois avec quelques difficultés, bien qu'il s'exprime assez bien en français pour un étranger, se nommer Victor Oakwood, venir d'Angleterre et que, suite à une dispute avec les membres de sa famille sur le chemin de la demeure du propriétaire de la région, il s'était éloigné mais que son cheval avait paniqué et lui avait décoché un coup de sabot.
Adriel s'était chargé de lui indiquer la direction pour rejoindre la demeure où sa famille devait s'inquiéter. Cependant, Violette avait retardé le départ de Victor en justifiant qu'elle préférait s'assurer qu'il était bien remis de sa blessure et, pour ce faire, elle avait besoin de le garder à disposition, consciencieuse dans son rôle de guérisseuse.
Alors, depuis la veille, Victor était avec eux au village. Bien qu'ils se retrouvaient quelques peu à l'étroit dans la chaumière, Lucille ne se plaignait pas de cette cohabitation. Au contraire, elle appréciait la présence du jeune homme et le fait de pouvoir partager un quotidien avec lui, même si c'était fort récent depuis uniquement la veille.
Que ce soit car elle l'avait sauvé et qu'elle se sentait donc responsable de lui, comme si il était devenu de son devoir de veiller sur lui, comme on racontait que cela se produisait souvent, ou autre chose de plus difficilement explicable, elle ressentait l'existence d'un certain lien, qu'elle ignorait comment définir exactement, entre elle et le jeune homme. D'ailleurs, elle avait ressenti ce lien presque immédiatement à la vue du jeune homme inconscient, et c'était justement la raison pour laquelle elle avait absolument tenu à le sauver en employant tous les moyens que sa magie lui fournissait.
Cela pouvait paraître irrationnel, d'ailleurs, elle-même jugeait cela inconcevable et même un peu stupide lorsqu'elle y songeait sous l'angle de sa raison. Pourtant, elle éprouvait un sentiment très profond qu'elle se sentait bien incapable de définir avec exactitude car il s'agissait de quelque chose qu'elle n'avait jamais expérimenté, quelque chose d'inconnu, qui la poussait vers Victor, et c'était également ce qui la faisait rougir avec gêne lorsqu'il la regardait en souriant.
À partir de là, elle aurait pu se contenter de qualifier ce qu'elle ressentait de simple attirance, qu'un jeune homme exerçait sur une jeune fille, mais il lui semblait que c'était autre chose, ou, en tous cas, davantage. En effet, il n'y avait pas que le fait que Victor soit un jeune homme agréable, avec de l'éducation, de bonnes manières et possédant un doux calme réfléchi, il y avait plus.
Pour commencer, bien que cela y soit rattaché, il y avait l'origine de Victor, qui venait d'un autre pays, certes, d'un pays européen qu'on pouvait facilement atteindre en quelques jours depuis la France et qui ne déclenchait guère de rêveries d'exotisme mais, pour Lucille, qui n'avait jamais quitté le village, que ce soit pour sa sécurité ou seulement car elle était d'une nature paisible qui affectionnait davantage les voyages qui se déroulaient dans l'imagination, rien que l'accent marqué avec lequel s'exprimait Victor lui donnait la sensation de découvrir un nouveau monde et d'élargir son horizon.
Fréquenter quelqu'un ayant vu autre chose que le fleuve et les chaumières réparties le long de chemins de terre battue ouvrait son regard plus largement et plus loin que les prairies alentours. De ce point de vue, et pour elle, Victor était une personne intéressante.
L'intérêt qu'elle portait au jeune homme britannique ne provenait pas uniquement de là, au contraire, ce n'était que la raison secondaire qui provoquait cette attention envers Victor.
La principale était qu'elle percevait chez le jeune homme un certain tourment, comme une douleur ravalée et enfouie tout au fond de lui, tellement qu'il s'agissait à présent de quelque chose de normal et d'habituel pour lui, quelque chose d'assimilé auquel il ne prêtait plus guère attention mais de néanmoins bien présent et que Lucille percevait malgré l'habilité avec laquelle Victor le repoussait sans rien en manifester. Il ne s'agissait pas de curiosité mal placée mais plus d'un désir, d'un besoin, de comprendre d'où provenait ce tourment dont elle captait les échos pour peut-être espérer pouvoir l'apaiser.
Après tout, elle avait le pouvoir de guérir les blessures, certes uniquement physiques mais cela ne l'empêchait pas de vouloir également soigner, dans la mesure de ses moyens, celles d'ordre psychiques, c'était dans sa nature. Elle ne pouvait pas supporter de voir quelqu'un souffrir sans tenter de l'apaiser.
Etait-ce cependant suffisant pour expliquer ce lien qui l'attachait au jeune homme, pour qu'il soit si fort et puissant ?
C'était comme si elle connaissait Victor d'avant et que sa rencontre avec lui avait éveillé en elle un vieux souvenir imprécis dans lequel le jeune homme avait une place importante mais indéterminée. Il s'agissait de quelque chose d'instinctif, d'une connaissance antérieure, qu'elle était bien incapable de réellement et objectivement expliquer mais qui lui donnait l'envie de mieux connaître et comprendre Victor, ou, plutôt, de mieux le connaître à nouveau, comme éprouvait cette très nette sensation de posséder une pré-connaissance du jeune homme.
Quelle que soit la façon dont elle y réfléchissait ou l'origine qu'elle lui prêtait, ce lien existait, fort et puissant. Victor devait également en avoir conscience. Sans compter qu'il considérait Lucille comme son ange, bien qu'il ait prétendu qu'il ne s'était agi que d'une élucubration à cause de son esprit encore embrumé par l'inconscience.
Obéissant au conseil de Violette, Victor choisit de se reposer, n'ayant guère d'autre chose à faire de toute manière, et il alla s'installer à quelques pas de la chaumière, non loin du fleuve, parmi les herbes folles de la berge. Le regardant s'éloigner, Lucille hésita un instant puis, encouragée par Violette qui lui adressa un signe de tête en direction du jeune homme, elle le rejoignit et s'assit à côté de lui.
Un certain malaise la saisit alors qu'elle se demandait que dire, recherchant ses mots. Soudainement, Victor posa sa main sur la sienne, la faisant légèrement sursauter car elle ne s'y attendait pas, mais elle se calma bien rapidement et remarqua que cette proximité ne la dérangeait nullement. Au contraire, il y avait quelque chose de naturel et d'apaisant dans la chaleur de la paume de Victor contre ses doigts.
S'exprimant quelque peu maladroitement, le jeune homme prit la parole à la place de Lucille, qui cherchait toujours quels mots utiliser pour l'aborder :

Les Yeux du Pouvoir - Tome 6 : Couleurs passé [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant