Chapitre 13 - Visite à la forteresse

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La rivière semblait d'or et de sang, qui se mêlaient parfois, sous les couleurs du coucher du soleil embrasant le ciel. Gabriel demeurait paralysé face à la splendeur de ce spectacle qu'il admirait réellement pour la première fois.
Évidemment, depuis le manoir d'Aaron, il avait eu plusieurs fois l'occasion de contempler derrière des volets rabattus des aubes et crépuscules mais jamais il n'avait pu observer de tels reflets à la surface de l'eau, qui les rendait mouvants. Cette danse le fascinait et l'absorbait totalement. Il se demandait si l'eau conserverait ses parures éclatantes si il pénétrait à l'intérieur mais il ne pouvait guère le vérifier comme il devait rester camouflé sous le couvert des arbres, surtout alors qu'il se trouvait juste en face de la forteresse de l'inquisition, uniquement séparé d'elle par cette rivière éclatante.
Soudainement, une main se posa sur son épaule, le tirant de sa contemplation dans un sursaut. Bien qu'il se soit oublié dans cette admiration, il demeurait fortement tendu, chose qui paraissait normale et logique dans cette situation.
Se remettant de cette légère frayeur, il se tourna vers la personne en étant à l'origine : le jeune homme aux yeux roses qu'il avait rencontré la veille dans ce même bois où ils se dissimulaient tous deux.
Après cet accrochage et avoir mutuellement constaté qu'ils participaient la même nature condamnable de magiciens, ils avaient longuement échangé. Gabriel avait confié ce à quoi sa vie avait ressemblé jusqu'ici, un résumé rapide, et les motivations qui l'avaient conduit à se rendre au pied de la forteresse, son désir de sauver cette jeune fille emprisonnée à sa place né de sa profonde culpabilité.
De son côté, celui qu'il pouvait à présent considérer comme son nouveau compagnon de route, qui lui avait expliqué se nommer Al – clairement un diminutif mais Gabriel n'était pas encore parvenu à lui arracher son nom complet durant la conversation – lui avait raconté, sans entrer dans les détails, que son chemin avait déjà croisé celui de l'inquisition il y avait quelques années, ce qui lui avait laissé ces nombreuses cicatrices.
Celles-ci gravaient cet air sombre et grave sur ses traits en les rendant difficiles à déchiffrer, causant partiellement cette distance perceptible en lui, ce qui semblait plutôt compréhensible avec ce qu'il avait vécu, ce que Gabriel imaginait en frissonnant sans pour autant le deviner précisément, puisque Al s'était tut à ce propos.
De cette mésaventure ayant brisé sa vie, le jeune homme avait retiré, en plus de ces nombreuses cicatrices, aussi bien physiques que psychiques, une haine brûlante plus que farouche envers l'inquisition qui était aujourd'hui ce qui l'animait, la seule chose lui ayant permis de survivre, et lui ayant fournis suffisamment de force pour se reconstruire en avançant encore.
Grâce à cette haine, qu'on considérait pourtant de manière conventionnelle comme un sentiment négatif, il s'était trouvé un but, un objectif qui lui permettait de vivre : protéger et sauver autant qu'il le pouvait tous les magiciens, quels que soient les moyens nécessaires. Évidemment, il se doutait qu'il s'agissait de quelque chose d'impossible et d'irréalisable mais chaque vie de magicien qu'il sauvait lui importait grandement, pansant ses blessures en lui montrant que, bien qu'il ne pourrait jamais accomplir cette ambition ultime qui le motivait en profondeur, ses efforts n'étaient pas vains.
Ainsi, lorsque Gabriel lui avait expliqué pourquoi il avait effectué ce trajet jusqu'à la forteresse de l'inquisition en quittant la sécurité, certes devenue un peu plus relative ces derniers temps, de son refuge, Al ne s'était pas moqué de lui en lui signalant la stupidité, l'impossibilité et le suicidaire de son idée pour finalement le renvoyer chez lui en se montrant méprisant envers son manque de réflexions. A la place, il s'était montré particulièrement compréhensif.
Après tout, lui aussi souhaitait délivrer les prisonniers de l'inquisition, qui attendaient leur exécution en cellule, cependant, il s'était néanmoins permis de lui faire remarquer que se laisser uniquement guider par l'émotion le desservirait grandement et qu'il fallait privilégier la raison dans ces circonstances, ce avec quoi Gabriel était parfaitement d'accord sans avoir réussi à l'appliquer jusqu'ici.
Heureusement, être avec quelqu'un lui permettait d'apaiser ses émotions affolées et à les ordonner de façon à ce qu'elles ne parasitent plus son jugement, mais, même une fois ses pensées plus claires, il n'était pas revenu sur sa décision, tenant profondément à sauver Eléanora et les réflexions n'effaçant ni la culpabilité ni sa nausée.
Par ailleurs, il se sentait vraiment rassuré par la présence d'Al à ses côtés, pour plusieurs raisons. La première était que le jeune homme savait bien mieux que lui ce qu'il faisait, il connaissait les méthodes de défense et l'équipement des inquisiteurs à qui il avait déjà eu à faire ainsi que l'organisation de la forteresse, qu'il avait fréquenté lors de sa détention, il y avait quelques années, il avait conçu une ébauche de plan, savait se battre, avait déjà accumulé une certaine expérience dans le sauvetage de magiciens et les pouvoirs qu'il possédait allaient s'avérer fort utiles pour leur tentative.
Grâce à lui, Gabriel se doutait que ses chances de réussite augmentaient grandement.
L'autre raison était que le jeune homme était exactement comme lui, un magicien en quête de sa place dans le monde et qui espérait mieux pour les siens que d'être chassés de la sorte.
Malgré la distance et la gravité que manifestait Al, Gabriel avait senti que tous deux s'étaient rapproché durant cette journée où ils avaient échangé, abandonnant des sujets sérieux comme leurs passés ou leurs motivations, pour des banalités plus légères, en attendant la tombée de la nuit, ayant convenu tous les deux, bien que ce soit davantage Gabriel que se soit rangé à l'expertise de Al, qu'il valait mieux attendre d'être dissimulés par l'obscurité pour agir, ce qui ne saurait tarder comme le soleil venait de disparaître en emportant avec lui toutes les couleurs chatoyantes ayant illuminé le paysage.
Il ne leur restait plus qu'à patienter jusqu'à ce que le manteau d'ombres de la nuit les recouvre et leur offre une certaine forme d'invisibilité. Gabriel leva le regard vers le ciel d'un bleu qui se fonçait peu à peu, évaluant les minutes qu'ils devaient encore regarder passer avant de pouvoir entrer en action.

Les Yeux du Pouvoir - Tome 6 : Couleurs passé [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant