Chapitre 22 - Belladones brûlées

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Les coups cognés contre la porte firent trembler le contenu de la large étagère, à tel point que les différents bocaux s'entrechoquèrent, et Larissa poussa un profond soupir en délaissant le bouquet d'herbes qu'elle était occupée à couper pour une préparation.
C'était à croire qu'elle ne pouvait pas avoir un instant de tranquillité ces derniers temps, avec tous ces gens, en particulier des magiciens, qui venaient lui demander son secours. Le jeune homme britannique venu en quête de renseignements n'était reparti il n'y avait tout juste qu'une heure et elle pensait pouvoir consacrer le reste de sa journée à son travail mais, apparemment, elle s'était fourvoyée.
Ce n'était pas qu'aider les autres lui déplaisait, au contraire, comme le disaient Aleksy ou même Tanguy même si elle ne le montrait pas, elle avait bon fond, pleine de compassion, mais plutôt que sa patience et sa tolérance n'étaient guère élevées, et qu'elle s'agaçait facilement, surtout ces derniers jours où les événements s'enchainaient sans lui laisser de temps pour elle ou pour s'occuper de ses affaires.
S'essuyant les mains sur le tablier qu'elle portait autour de la taille pour en retirer les derniers débris de végétaux qui lui restait entre les doigts et sous les ongles, elle alla ouvrir la porte en se demandant quel visage en panique elle allait découvrir de l'autre côté, un connu ou inconnu. Peut-être que la seule chose qu'elle allait pouvoir faire était encore de les envoyer à nouveau chez Violette – cette dernière devait certainement avoir quelques problèmes à gérer toutes ces personnes qu'elle dirigeait vers elle.
Son agacement s'envola soudainement pour être remplacé par une forte surprise lorsqu'elle découvrit qui se tenait sur son porche en faisant pivoter le battant sur ses gonds, pourtant, elle avait assisté à l'annonce des fouilles de l'inquisition dans la mâtinée, mais elle ne s'attendait pas à recevoir une visite inquisitoire si rapidement.
Cela semblait assez évident que les inquisiteurs débutent leurs recherches autour de l'endroit d'où ils les lançaient, pourtant, en observant les alentours par l'embrasure, elle constata que son habitation était la seule devant laquelle se trouvaient des hommes en cuirasse. En effet, ils ne paraissaient s'intéresser qu'à sa chaumière.
En un sens, Larissa ne pouvait que leur donner raison puisque, effectivement, elle avait accueilli chez elle et aidé plusieurs magiciens ces derniers temps, mais rien ne permettait réellement à qui que ce soit de la soupçonner, comme elle s'était assuré de la discrétion de chacun.
Ne manifestant cependant rien de ces interrogations ni montrer une quelconque panique ou inquiétude, la jeune femme s'appuya contre le chambranle de la porte, les bras croisés sur la poitrine, et elle demanda aux inquisiteurs ce qu'elle pouvait pour eux.
Face à elle, les trois hommes échangèrent un regard, quelque peu déstabilisés par cette désinvolture, mais, se reprenant, celui qui semblait être le meneur lui expliqua qu'ils venaient ici dans le cadre de l'organisation de la poursuite de tous les magiciens de la région, comme décidé par les dirigeants de l'inquisition. Larissa haussa un sourcil, cette réponse ne lui expliquant pas pourquoi c'était chez elle spécifiquement qu'ils se rendaient en premier.
Dans un haussement d'épaules, la jeune femme s'écarta de la porte pour céder le passage aux inquisiteurs en les invitant à entrer d'un large geste du bras, sachant qu'elle n'aurait pas le choix quoi qu'il advienne et que, plus vite ces inquisiteurs auraient terminé de vérifier son foyer, plus vite elle pourrait retourner à ses activités en ayant la paix. Elle se doutait bien qu'ils ne découvriraient rien de compromettant, puisque les derniers magiciens avaient quitté le hameau et qu'elle avait soigneusement effacé les traces de ces passages.
Ça ne lui plaisait cependant guère de voir son espace personnel ainsi envahis par des inconnus et elle résista à l'envie d'assommer l'un des inquisiteurs avec le bocal dont il s'empara pour examiner son contenu ou bien celui qui se pencha sur son établi de travail, mais elle se contint autant que possible et demeura en retrait.
Lorsqu'ils eurent terminé d'effectuer le tour de la maisonnée, les trois hommes se postèrent face à Larissa, toujours sur la défensive, et le commandant demanda à la jeune femme si quelqu'un d'autre se trouvait ici. Dans un soupir consterné, Larissa leur répondit qu'ils venaient de constater par eux-mêmes qu'elle était seule en ces lieux.
Ne relevant pas son impertinence, ou, en tous cas, ne le manifestant pas devant elle, son interlocuteur enchaina en l'informant qu'on leur avait rapporté qu'il y avait eu une forte activité autour de chez elle dernièrement, ce qui était plutôt préoccupant. Ne s'affolant nullement, Larissa lança que ces visites étaient seulement liées à son travail, qu'on était simplement venu la consulter en quête de conseils, à la recherche de moyen pour régler un problème, ce qui était l'entière vérité, bien qu'elle s'abstienne de préciser que ces personnes en quête de solutions étaient presque toutes des magiciens.
Face à elle, les inquisiteurs acquiescèrent, bien que leur expression ne semblait pas pleinement convaincue. Certainement ne la croyaient-ils pas entièrement mais, ne pouvant pas prouver qu'elle mentait ou leur dissimulait quelque chose, ils se retrouvaient forcés d'accepter et de se contenter de cette explication.
Se moquant pourtant bien de constater que l'inquisition la soupçonnait de quelque chose, Larissa leur demanda si elle pouvait leur rendre service d'une autre manière, en leur vendant une de ses préparations notamment, mais ils lui répondirent qu'ils en avaient terminé ici tout en la priant de demeurer à leur disposition au besoin. N'ayant toujours pas le choix pour sa sécurité, Larissa hocha le menton, s'y pliant sans pour autant leur promettre verbalement de se mettre à leur service, avant des les raccompagner jusqu'à sa porte qu'elle claqua dans leur dos avant de s'y adosser en soupirant.
Si elle se trouvait dans le collimateur de l'inquisition, les choses allaient se compliquer, surtout si elle devait à nouveau aider d'autres magiciens en détresse.
Comment se tirer de cette situation ? Elle secoua la tête de gauche à droite pour chasser cette question de ses pensées.
Après tout, pour l'instant, elle n'avait nullement à se préoccuper de cette possibilité, puisque cette visite n'avait donné aucune raison supplémentaire aux inquisiteurs de se douter de sa culpabilité, sans compter que l'organisation comptait explorer la région en détails sans viser quelqu'un en particulier. Elle n'avait aucune raison de s'inquiéter ou de se sentir particulièrement en danger.
Pour l'inquisition, elle n'était qu'une simple habitante de la région dont le foyer se trouvait sur la liste des lieux à vérifier, comme tous les autres endroits de la région, rien de spécifique contre elle. C'était ce dont elle pouvait sereinement se convaincre.
De toute manière, même si elle avait été fortement soupçonnée par l'inquisition, elle ne se serait certainement pas davantage affolée, comme il ne lui semblait pas avoir semé de preuves qui l'auraient accusé. Aucune raison de s'affoler.
Lorsqu'elle sortit quelques minutes après le départ des inquisiteurs pour récolter l'une des plantes qui lui manquait pour achever sa préparation, dans laquelle on ne cessait de l'interrompre, elle découvrit plusieurs de ses voisins en pleine conversation mais qui s'interrompirent immédiatement dès qu'ils l'avisèrent pour la fixer à distance en échangeant quelques messes basses dans des murmures ou bien des regards en coin. Un sourcil arqué, Larissa promena son regard sur cette assemblée en se demandant ce qu'il se passait encore.
Ce n'était pas la première fois qu'elle se retrouvait au centre de rumeurs circulant dans le hameau. Après tout, une jeune femme, qui plus était avec son caractère particulier, qui pratiquait un travail à l'ordinaire réservé aux hommes en repoussant tous les prétendants qui l'approchaient faisait immanquablement jaser, mais, dernièrement, à part ces nombreuses visites, qui avaient pourtant étaient assez discrètes dans l'ensemble, il n'y avait rien pour motiver un regain de ragots.
Haussant les épaules, se moquant bien de ce qu'on pouvait penser d'elle ou raconter à son propos, comme ça avait toujours était le cas, elle entra dans son jardin où elle cultivait les différentes plantes qui servaient à ses philtres, décoctions ou autres onguents en sortant son couteau de la poche de son tablier.
S'attelant à cette rapide besogne, elle s'agenouilla dans la terre de son jardin et sélectionna soigneusement la tige à sectionner avant de la couper alors que, autour d'elle, les murmures reprenaient en gagnant en intensité. Tendant l'oreille par réflexe et également par curiosité, la jeune femme capta quelques paroles et elle comprit que ce qui faisait ainsi commérer les habitants du hameau était en réalité la visite qu'elle venait de recevoir.
Ainsi, elle était donc bien la seule du domaine à avoir eu le plaisir d'accueillir des inquisiteurs dès le début des fouilles. Apparemment, les inquisiteurs commençaient par s'intéresser aux quelques pistes en leur possession avant de se lancer dans l'exploration minutieuse de toute la région, ce qui était suffisant pour alimenter les racontars à son égard.
Ne voyant cependant toujours aucune raison de s'en soucier, elle termina rapidement sa récolte et regagna l'intérieur de son foyer après avoir promené un long regard plutôt consterné sur toutes ces commères, dont peu osèrent le soutenir. D'ailleurs, le claquement de porte dans lequel elle referma le battant traduisit parfaitement le mépris qu'elle manifestait.
Reprendre sa préparation dans laquelle elle ajouta les feuilles fraiches préalablement hachées lui permit d'évacuer ces pensées de son esprit pour se concentrer pleinement sur cette confection, ce qui était bien plus important et intéressant pour elle.
Entamant le temps de repos nécessaire à cette préparation, elle commença par nettoyer son plan de travail ainsi que les différents ustensiles qu'elle avait utilisé et qu'elle rangea avec soin, ne laissant jamais trainer les choses et respectant son organisation, puis elle alla s'allonger sur son lit, dans la pièce séparée du reste de la maison par la tenture, n'ayant guère eu l'occasion de se reposer ces derniers temps avec tous ces événements et comptant donc profiter de ce moment de tranquillité, cependant, il ne dura guère.
Etendue sur son matelas rembourré de paille, elle commençait tout juste à somnoler, plus fatiguée par les derniers événements qu'elle ne l'aurait spontanément cru, que quelque chose la tira de ce repos qu'elle estimait pourtant mériter.
Ignorant d'abord ce qui l'avait alertée, elle se redressa vivement en regardant autour d'elle à la recherche de quelque chose d'anormal qui aurait provoqué cette subite réaction de son inconscient mais elle ne repéra rien, du moins, pas visuellement. En effet, alors qu'elle examinait les lieux autour d'elle, une odeur distinctive de fumée se glissa jusqu'à ses narines, accompagnée par celle de la suie et de la cendre.
Quelque chose était en train de brûler à proximité. Pourtant, elle n'avait pas souvenir d'avoir laissé une quelconque préparation chauffer sur le feu.
Ne s'interrogeant pas plus longtemps, elle bondit sur ses pieds et se précipita dans la pièce principale de sa chaumière où l'odeur âcre et piquante, bien plus puissante que dans sa chambre, la saisit à la gorge et lui fit monter les larmes aux yeux.
Clignant des paupières pour chasser les larmes qui brouillaient sa vision tout en étouffant une quinte de toux, elle s'appuya contre le chambranle, d'où pendait la tenture, dont le verni lui brûla la paume en formant des cloques. Dans une exclamation où se mêlaient douleur et surprise, elle retira vivement sa main en faisant face au véritable désastre.
Une partie de la maison, le tiers le plus proche de la porte d'entrée, était dévorée par les flammes qui progressaient vers la jeune femme en s'attaquant à tout ce qui se trouvait sur leur passage, murs, sol, meubles et bouquets d'herbes qui s'embrasaient immédiatement en dispersant des cendres brûlantes et parfumées en tous sens. Les différents contenants entreposés sur la larges étagère, bocaux, pots, fioles ou flacons, en terre cuite ou en pâte de verre, explosaient ou se fendaient sous la chaleur.
Malgré la rage de contempler tout son travail détruit qui lui faisait serrer les poings, Larissa fut forcée de rapidement réagir si elle ne voulait pas finir comme toutes ses plantes qui continuaient à s'envoler en fumée seconde après seconde.
L'accès à la porte étant totalement bloquée et comme elle se doutait que les responsables de ce soudain incendie, qu'elle devinait n'être nullement naturel, se trouvaient non loin, prêts à l'intercepter, elle se rua à nouveau dans sa chambre en arrachant la tenture obstruant l'arche pour s'y enrouler et se protéger des flammes qui envahissait déjà le reste de la petite habitation.
Son premier réflexe fut d'ouvrir l'unique petite fenêtre de la pièce mais sa paume partiellement brûlée lui rappela que, avec la chaleur de l'incendie, le vernis du bois, qui commençait à craqueler, fondait. Passant donc à la manière plus brutale, elle prit autant d'élan que le lui permettaient les flammes qui se resserraient de plus en plus autour d'elle puis s'élança pour bondir à travers la fenêtre, se protégeant des éclats de verre qui volèrent autour d'elle avait fracas grâce au rideau qui lui permit également de légèrement amortir sa chute sur la terre battue.
Quelque peu sonnée, elle se releva en chancelant, abandonnant la tenture au sol. Durant un instant, elle demeura paralysée face à sa chaumière par les fenêtres de laquelle s'échappaient un panache de fumée grisâtre ainsi que quelques flammes et dont les plates-bandes plantées de belladones se consumaient également.
Se reprenant en entendant des cris demandant si elle était toujours à l'intérieur de l'autre côté de sa chaumière, qui lui confirmèrent par ailleurs que cet incendie était totalement volontaire, ses chers voisins n'ayant visiblement pas eu besoin de davantage de preuves que la visite des inquisiteurs pour conclure à une culpabilité de sa part, elle fit volte-face et s'élança, se dirigeant vers le sud en contournant le hameau, n'ayant qu'un seul endroit où se réfugier dans la région.
La distance qu'elle mit entre elle et les habitations ne suffit pas car, la voix d'un homme l'invectiva de loin. Plutôt que de tenter d'accélérer pour semer son poursuivant, qui aurait alors pu avertir des renforts, Larissa se retourna vivement pour lui faire face et, alors qu'il courait vers elle dans l'intention de la stopper, elle s'élança à son tour dans sa direction, le déstabilisant et le surprenant sans lui laisser le temps de réagir.
Profitant donc de cet effet, la jeune femme n'eut aucune difficulté à le faucher en le plaquant au sol où il l'entraina en s'agrippant à sa tunique et tous deux roulèrent au sol. Se débattant, Larissa se retrouva dans la position désavantageuse, allongée sur le dos sous l'homme qui la dominait en ne comptant visiblement pas la laisser s'en tirer ainsi.
N'abandonnant certainement pas non plus, Larissa n'usa pas de ses mains pour se défendre, que son adversaire lui bloquait de toute manière, mais elle remonta violemment son genou vers l'entrejambe de l'homme et elle le sentit s'enfoncer à l'intérieur de sa cuisse. Se repliant sur lui-même sous le coup de la douleur en poussant un cri, il relâcha sa prise sur le poignet droit de Larissa qui parvint à se dégager pour glisser la main dans la poche de son tablier, qu'elle portait toujours, pour en tirer son couteau.
Visant comme elle le put, rencontrant des difficultés à la fois à cause de sa position et car elle ne se servait actuellement pas de sa main dominante, gauchère, elle plante sa courte lame dans ce qu'elle espérait être l'épaule de l'homme, ne souhaitant pas non plus le tuer. Par réflexe, l'homme plaqua ses paumes contre sa blessure et Larissa n'eut plus le moindre mal à le repousser avant de reprendre sa course, s'éloignant le plus rapidement possible, sachant que cet acte ne plaiderait pas en sa faveur.

Les Yeux du Pouvoir - Tome 6 : Couleurs passé [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant