Chapitre 6: Épouse-moi

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Mon cœur tambourine dans ma poitrine, enfin la voilà. La fameuse, la si attendue, la grande révélation arrive enfin après de longs mois d'attente. Je me saisis alors d'une chaise et m'installe face à Léto qui reste debout, droite et tendue devant moi pour son annonce.

— Nous allons nous marier. Toi et moi.

C'est tout ? Je crois que j'ai encore plus de questions qu'avant ses explications. Pour devoir se marier ? Pourquoi avec moi ? Dans quel but ? Mon regard interrogateur a dû être compris par Léto qui s'empresse de clarifier la situation.

— Enfin, nous allons faire croire à tout le monde que nous sommes mariés, pas besoin de vraiment nous lier par des noces. Nous rentrerons dans mon village et on racontera à qui veut l'entendre que nous sommes maintenant époux et épouse. Voilà c'est aussi simple que ça.

Cette jeune Léto a un don, celui de rendre la situation encore plus confuse à chaque phrase. À quoi peut donc servir un faux mariage ? À qui doit-on mentir ? Car sa mère, qui est présente dans la pièce, ne peut pas l'ignorer. C'est donc pour ce fameux « il » ? Ce père qui rentre bientôt et qui inquiète autant Léto ?

Cette fois-ci je ne vais pas me contenter d'un regard pour me faire comprendre mais plutôt utiliser ma langue maintenant que je le peux à nouveau.

— Mais...

— Mais pourquoi ?

Je n'ai pas le temps de terminer l'une de ma première phrase avec elle que Léto me coupe la parole pour continuer ses explications. Je croise les doigts pour qu'elles soient enfin utiles et pourront éclaircir la situation.

— Car je t'ai sauvé la vie donc tu me le dois bien.

Raté, toujours pas d'éclaircie à l'horizon.

— Vous avez pourtant hésité. Encore, encore et encore.

— Hein ? Quoi ? Comment ?

La panique, voici le seul sentiment qu'exprime le visage de Léto qui cherche à comprendre.

— Oui, vous étiez prêtes à me laisser mourir, laissez le choix à la nature et aux dieux. Puis, j'y pense, rendez-moi ma pièce.

— Mais... Mais quelle pièce ? Je ne vois pas de quoi tu parles.

— J'espère que vous avez pu profiter d'un bon repas fait par un autre si vous n'êtes pas capable de me rendre mon argent.

Si Rhéa pouvait rentrer dans un trou de souris elle le ferait et quant à Léto elle devient aussi rouge que le soleil couchant. Mais elle se ressaisit en moins d'une seconde et change de conversation en pointant Zabelle du doigt pour l'accuser.

— Vous, vous lui avez tout raconté. Sorcière.

Zabelle ne se donne même pas la peine de répondre, ne relevant pas l'insulte d'une femme qu'on appelle l'empoisonneuse. De plus, elle ne doit pas comprendre la situation vu qu'elle était absente et qu'elle ne peut pas lire dans les pensées, n'étant bien évidemment pas une vraie sorcière.

— Elle n'a rien dit, c'est vous qui m'avez tout révélé de vos mauvaises intentions. Vous serez surprises d'apprendre que j'ai tout entendu. Je sais donc que vous n'êtes pas des anges, vous m'avez sauvé uniquement car cela servait vos intérêts.

Tiens, tiens, tiens, voilà le retour du coucher de soleil sur le visage de Léto.

— Tout ? Tout, tout, tout ?

— Tout, tout, tout.

— Ah donc pas besoin de t'expliquer mon projet alors. Tu comprends pourquoi ce mariage est si important alors ?

J'ai peut-être menti, en fait je n'ai pas tout, tout, tout entendu. Je pourrais faire semblant ou bien avouer que je me suis un peu vanté quelques secondes auparavant. Bon Kha, soit mature, dis la vérité.

— Pour être honnête, j'ai tout, tout, tout entendu sauf... Ça.

— Mais à quoi cela te sert d'avoir des oreilles si tu n'es pas capable de les utiliser correctement ?

Je sais très bien qu'elle connaît ma véritable identité, donc comment peut-elle me parler de la sorte ? Je suis d'accord, j'ai perdu tout mon prestige, mais c'est plus fort que moi, je reste étonnée. Mais cela n'est pas négatif pour autant disons que c'est... Rafraîchissant. Je n'ai plus le poids de tout un empire sur les épaules et cela me soulage. Peut-être qu'être un monstre présente des avantages insoupçonnés.

— Bon dans ce cas je vais devoir prendre le temps de tout t'expliquer.

Enfin, elle aura pris son temps.

— Mon père rentre bientôt et à son retour nous devons lui annoncer mon mariage.

— Mais pourquoi ? Je ne comprends pas, en quoi un faux mariage te sera utile ? Tu n'as qu'à te trouver un vrai mari.

— Tu ne comprends pas ? Pff, tu es bien un homme.

— Quel est le rapport ?

Pourquoi je me sens si bête tout à coup ? Nous vivons dans le même monde pourtant, alors pourquoi ce qui est évident pour elle, ne l'est pas pour moi ?

— Le rapport c'est que vous les hommes y gagnez lors d'un mariage, vous repartez avec une épouse qui vous aime et vous soutiendra.

— Et vous, vous gagnez un époux.

— Et en échange nous devons perdre notre liberté.

J'aimerais répondre mais je me sens encore plus bête qu'il y a à peine cinq secondes donc je préfère me taire et laisser Léto continuer son explication.

— Les femmes sont sous la responsabilité de leur père puis sous celle de leur mari et cela jusqu'à leur mort. Jamais au cours de leur vie elles ne peuvent être indépendantes, faire leur choix seules, avoir leur propre opinion ou vivre comme elles le souhaitent. Nous n'avons jamais le moindre répit. Notre seule chance pour avoir de petits moments de liberté c'est d'être veuve, ce que je suis. Mais ce bonheur ne peut pas durer, non jamais. Mon mari est mort depuis moins de douze lunes que déjà tout le monde me dévisage et me force à me marier. Et quand je dis « forcer » je n'exagère pas, j'ai entendu que mon père avait prévu de me marier avec un inconnu, que je le veuille ou non à son retour. C'est donc ce que je vais faire. Avec toi.

— Mais pourquoi ne pas tout simplement partir ? Ton père n'est pas là donc prend tes affaires et disparaît.

— Fuir, comme c'est facile pour toi. Tu n'es pas en danger dans les rues, tu as pu traverser des pays entiers sans être vraiment inquiété. Mais moi, je risque ma vie dès que je vais plus loin que mon village et encore même en son sein je dois rester sur mes gardes. Donc selon toi, je survivrai combien de temps lors de ma fuite ?

Je n'ai pas de réponse, tout simplement car je n'ai aucune idée de ce que cela signifie d'être une femme. Mais il y a peut-être d'autres solutions ? Il n'en est pas possible autrement.

— Dans ce cas, pourquoi ne pas épouser quelqu'un que tu aimes ? Au lieu de... Moi ? Je suis un inconnu avec un physique digne d'une créature de roman d'horreur. Je n'ai aucune richesse, je n'ai même plus d'identité. Je n'ai rien à t'offrir, donc... Pourquoi ? L'homme au hasard choisi par ton père sera mieux que moi à coup sûr.

— Je n'ai pas besoin de cela, je veux juste que tu ne me prennes rien. Et tu le feras, déjà pour me remercier, car même si mes intentions étaient intéressées, tu me dois la vie. Et aussi parce que tu ne pourras légalement rien contre moi, tu viens de le dire, tu n'as plus d'identité. Si je refuse de t'écouter vers qui iras-tu te plaindre ? Tu n'as plus personne, et aller voir la garde royale serait beaucoup trop dangereux pour toi. De la même façon, si tu te comportes mal avec moi je n'aurais qu'à aller te dénoncer en disant que je viens de découvrir que tu m'avais menti, c'est aussi simple que cela. Je suis donc tranquille à tes côtés, et c'est tout ce que je désire.

Léto marque une pause, prend une grande inspiration et continue ses explications.

— Tu penses peut-être être un monstre, mais je t'assure que mes risques d'avoir pire que toi sont élevés. Je sais que tu as toujours respecté les femmes, même celles que tu a gardé prisonnière, donc je ne pense pas que tu puisses te montrer violent avec moi un jour. Et cela est rare. Dit-elle la voix pleine de tristesse.

Kha: L'amour impossibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant