Chapitre 37: Une vie pour une vie

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À l'orée de la nuit, Léto et moi nous enfonçons dans les bois, la bonne vieille Grigri toujours fidèle à sa jeune maîtresse. Les hurlements des villageois s'estompent, mais la terreur reste gravée dans mon esprit. Les pas de sabot de Grigri sont précipités, irréguliers, comme si la forêt elle-même tentait de nous retenir, de nous engloutir dans ses ténèbres denses.

—    Kha... es-tu sûr... Es-tu sûr que tout cela est une bonne idée ? murmure Léto, sa voix à peine audible, étouffée par la fatigue.

Je coupe ma respiration un instant et jette un regard désespéré derrière moi. Les torches des villageois sont des étoiles vengeresses dans la nuit, mais elles semblent de plus en plus lointaines. Cela me donne le courage dont j'ai besoin et, les yeux brillant d'une détermination farouche, je lui réponds d'une voix rassurante.

—    Oui je suis sur. Nous devons continuer, Léto. On trouvera une solution, je te le promets.

Léto hoche alors faiblement la tête. Elle sait qu'il n'y a plus de promesse à tenir, mais le désir d'être là pour moi, la pousse à avancer, encore un peu. Au fond de mon coeur, je sais pertinemment qu'elle me suit juste pour me faire plaisir. Elle est persuadée qu'il n'y a pas d'autre solution que la mort, mais elle respecte mon espoir et me laisse l'emmener vers l'inconnu.
Je passe alors mon bras autour de sa taille pour la rapprocher de moi. Elle est trop fatiguée pour me rappeler comment ce simple geste est dangereux et s'assoupi quelques instants. Chaque bruit de sabot est une victoire amère sur notre destin cruel, j'en suis convaincu.

Les jours passent, et chaque lever de soleil apporte son lot de désespoir. La maladie de Léto la consume de plus en plus, et son corps frêle devient de plus en plus une cage de souffrance. J'essaye de me voiler la vérité, de me dire que ce n'est pas le temps qui la tue mais juste la fatigue de ce long voyage. Mais j'ai de plus en plus de mal à me mentir à moi-même. Je dois maintenant la porter de plus en plus souvent sur mon dos lors de nos courtes excursions en dehors de la calèche, même si mes pieds s'enfoncent dans la boue et les cailloux, même si mes mains sont écorchées dès que nous devons traverser des branches. Mais je ne céderais pas, non jamais.

Enfin. Enfin au loin se profile un nouveau village niché au creux d'une vallée. L'espoir renaît alors encore dans mon cœur, fragile, comme une fleur dans le désert. J'ai conscience que je suis le seul a encore espérer. Je sens que Léto abandonne toujours plus à chaque seconde, mais elle ne me dit rien, et je préfère ne pas regarder la vérité. Elle s'impose tout ce voyage juste pour moi, j'en ai honte parfois mais je ne peux pas faire autrement, je dois tout essayer, nous devons tout essayer.

Je dépose Léto à l'ombre d'un grand palmier et coure chercher de l'aide. Ces étrangers m'écoutent avec méfiance, leurs regards se durcissant à mesure que je raconte notre histoire, tout en omettant la réputation sulfureuse de Léto pour leur donner envie de la sauver, sans aucun préjugés. Mais cela ne change rien, la réponse est toujours la même. La peur de la contagion est universelle, et même ici, où ils ne nous connaissaient ni Léto ni moi, la réaction reste identique.

—    Nous ne pouvons pas risquer nos vies pour une étrangère, dit le chef du village, un homme aux traits marqués par l'âge et la sagesse. Partez avant que la maladie ne se propage. Ou bien nous devrons résoudre ce problème nous même. Saisissez votre chance, partez loin d'ici avec votre femme et laissez-là mourir paisiblement.

Je sens mon cœur se briser encore un peu plus. Chaque refus est une lame supplémentaire dans la blessure béante de mon âme. Laisser Léto mourir ? C'est hors de question, il y a forcément une solution, il y a toujours une solution. Je retourne alors auprès d'elle, les yeux brillants de larmes non versées.

—    Hey, mais qui vois-je ? N'est-ce pas la plus belle femme de tout le désert ?

Léto lève les yeux au ciel face à ma tentative désespérée de détendre l'atmosphère pesante et de masquer ma tristesse .

—    Alors que t-ont-ils dit ? Sont-ils le seul et unique village de tout le royaume a bien vouloir et pouvoir nous porter secours ?

Je baisse les yeux. Je suis fatiguée de toujours devoir lui fournir la même réponse. J'espère qu'un jour je pourrais lui annoncer une bonne nouvelle, avant qu'il ne soit trop tard. Elle a raison, tous les villages se ressemblent. Mais qui sait ? Il ne suffit que d'un seul. J'ai bien pensé à retourner au palais, ils ont des médecins et il me reste peut-être encore assez d'autorité pour imposer Léto et les forcer à la soigner. Mais cela est si incertain. Il est plus probable que mes ennemies nous tuent avant même que je puisse ouvrir la bouche. Le palais est si loin de moi à présent, je n'ai aucune idée de qui est au pouvoir, tout change si vite ces derniers temps.

À cause de moi, soyons honnête, je suis à l'origine de cette instabilité politique, je ne peux n'en vouloir qu'à moi-même. De plus, je ne suis pas sûr que Léto survive au long voyage. Non je ne veux pas penser à cela, je refuse d'imaginer la mort de celle que j'aime. Donc si nous ne pouvons pas revenir sur nos pas, continuons à aller de l'avant.

—    Ils ne peuvent rien faire, Léto... Mais je ne renoncerai pas. Je te trouverai un remède, je te le promets.

Léto sourit faiblement, ses lèvres pâles comme des pétales fanées.

—    Kha... tu m'as déjà donné plus que ce que je pouvais espérer. Ton amour est mon remède, même si... même si je dois partir, cela sera en paix. Tu peux abandonner maintenant, tout ira bien.

Ces paroles sont douces et sincères mais je refuse encore et toujours d'accepter cette réalité. Sans dire le moindre mots je la prend alors dans mes bras, sentant ses os saillants sous mes doigts, et nous repartons sur les chemins, comme deux deux ombres fuyant l'inévitable.

Notre errance nous mène toujours dans cette même forêt dense, ancienne et sans fin. Mais une nuit, alors que Léto dormait contre mon torse, notre vieille calèche rencontra une lumière vacillante au loin. Un espoir, une lueur dans la noirceur de mon désespoir. Je saisis donc les rennes de Grigri et la mène avec délicatesse vers ce rayon de soleil nocturne, découvrant une vieille cabane en bois, habillée de mousse et de lierre.

C'est à ce moment précis qu'une vieille femme en sortit, ses yeux perçants malgré l'âge avancé, comme si elle nous attendait. Elle nous observe sans un mot pendant de longue, comme si elle pouvait lire dans nos âmes.

—    Vous êtes des amis de Zabelle n'est-ce pas ?

Oh mes dieux, Zabelle. Cela fait si longtemps que je n'ai pas entendu ce prénom qui immédiatement vient réchauffer mon cœur. Je sais qu'elle nous a déjà dit qu'elle ne pouvait rien faire pour aider Léto mais peut-être que cette nouvelle connaissance le pourra, elle.

—    Entrez, dit-elle finalement, sa voix douce contrairement à son aparrence austère. Je suis Mimone et peut-être puis-je vous aider.

De l'aide, enfin. C'est comme si j'avais retenu ma respiration pendant toutes ces interminables journées d'échec et que j'arrivais tout à coup à respirer à nouveau. Je ne me demande même pas comment cette vieille femme a pu deviner nos identités. Pour être honnête, cela a peu d'importance, je n'ai pas besoin de réponse à cette question, j'ai juste envie qu'on m'offre une solution. À l'intérieur, la cabane est chaleureuse, remplie de plantes médicinales et de potions mystérieuses. Mimone examine Léto avec soin, son visage impassible. J'attends patiemment ressentant chaque seconde comme une éternité.

—    Dame Mimone, qu'en pensez-vous ? Pouvez-vous l'aider ? La sauver ? Elle ne peut pas mourir, je vous en supplie, dis-je alors que mes genoux heurtent le sol avec fracas.

—    La maladie de ta femme n'est pas à prendre à la légère, elle est terriblement dangereuse, dit Mimone dans un murmure. Le seul traitement que nous pourrions essayer est pire que le mal.

—    Nous ferons tout ce qu'il faudra, je répondis sans hésiter et sans, je le réalise trop tard, demander son avis à Léto. Dites-nous tout.

—    Une vie. Voilà ce qu'il vous faut. Une vie contre une autre.

Kha: L'amour impossibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant