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LOUKA CASTELLE

J'avais vite compris que si je comptais rester chez les grands parents de Ken, je devrais me bouger. J'avais déjà passé plusieurs semaines à Paname sous ma couette mais là je me devais de faire un effort pour Ken. Et honnêtement j'adorais ses grands parents. Ils m'avaient occupés toute la semaine.

Le matin, Doryan m'emmenais pêcher avec des amis à lui. J'écoutais vaguement leur discussion, mon niveau en grec ne me permettait pas d'en faire plus et je regardais la mer et les éclats de soleil qui brillaient dedans comme des milliers de diamants qu'un ange maladroit avait laissé tomber du ciel. 

J'aidais l'équipage ou alors je dessinais. Je savais un peu dessiner. Mais avant, je n'avais pas le temps de réellement dessiner. Là sur un bateau, coupée du monde, je n'avais que ça à faire. Le midi ensuite, je rejoignais Ken et lui montrais mes dessins ou lui parlait de ce que j'avais vu. L'après midi, je restais avec Nena pour m'occuper du jardin ou alors on allait se balader sur l'île et les marchés. Elle me racontait des légendes, parlaient de ses copines ou de sa jeunesse. Je ne parlais pas beaucoup, mais elle me faisait beaucoup rire. Le soir, je retrouvais Ken qui était allé voir des amis ou qui avait gratté toute la journée, dopé au café et on discutait de nos journées.

Nena et Doryan était sortis chez des amis, me laissant seule dans la maison. J'avais tenté de suivre une recette que m'avait confié Nena, mais visiblement même ça, c'était compliqué pour moi. J'ai entendu une porte claquer, surprise que le couple rentre si tôt mais c'était en fait Ken.

J'ai ricané quand je l'ai vu.

- Sympa le rouge à lèvres mais la prochaine fois, demande moi je t'expliquerai comment en mettre.

Le grec s'est observé dans le grand miroir de l'entrée. Il a grimacé en frottant le rouge à lèvres sur le coin de sa bouche.

- C'est fou, cinq minutes seulement que t'es là et déjà tu casses les couilles.

J'ai levé les yeux au ciel, sans me départir de mon air moqueur. Ken a senti mon regard le suivre à travers la cuisine.

- Range tes gros yeux, Castelle.

Je me suis appuyée sur l'îlot central de la cuisine et j'ai jonglé avec deux citrons tout en fixant le grec.

- Je peux savoir son nom ?

Il a attrapé un des citrons me faisant grogner : j'étais en train de réaliser une performance incroyable.

- Je m'en fiche si tu parle pas j'irais appeler Mekra et il me dira.

Je me suis éloignée pour attraper mon téléphone. J'avais même plus de batterie mais j'ai fais mine de chercher le numéro. Ken m'a arraché le téléphone des mains et m'a claqué l'arrière de la tête en voyant qu'il était éteint. Il m'a fait signe de venir sur les sièges de la terrasse pour discuter.

- J'étais avec Théodora. On se connaît depuis qu'on est tous petits...

- Genre t'as été enfant toi un jour ?

Ken m'a fais les gros yeux avant de m'ordonner de me concentrer. J'ai cru qu'il allait me claquer  donc j'ai discrètement éloigné mon transat. Mieux vaut prévenir que guérir. 

- Bref on s'est embrassé la première fois quand on avait treize ans et à chaque fois que je viens, on se voit et ça finit toujours pareil. Elle me rend vraiment heureux.

J'ai observé le sourire du grec. Il avait l'air ailleurs. Apaisé.

- Tu l'aimes ?

Ken à arrêté de fixer le ciel pour m'observer.

- Elle m'a fait comprendre qu'on est amoureux qu'une fois alors je pense que oui, je l'aime mais d'une autre façon. Il existe plein de types d'amour. 

- Pourquoi vous êtes pas ensembles ?

Le brun a baissé les yeux. J'avais touché un point sensible visiblement.

- La distance ça complique tout. Tu peux aimer quelqu'un profondément mais si tu prends pas le temps d'entretenir cet amour, c'est nocif.

- Même si c'est l'amour de ta vie ?

Ken a haussé des épaules.

- Ça serait trop compliqué.

J'ai dévisagé Ken et son visage triste. Je comprenais son choix de ne pas se mettre en couple avec Théodora mais ça me faisait de la peine. Je lui ai proposé d'aller lire à la plage. Le soleil se couchait et on faisait ça quasiment tous les soirs. Je suis montée chercher Persepolis que j'avais commencé il y a quelques jours. On est descendus à travers un bois. Un raccourcis selon Ken mais ça me semblait plus un aller direct au paradis vu que j'ai faillis glisser cinq fois et me briser la nuque.  Le grec a finit par attraper ma main pour me guider tout en me lançant un sale regard.

J'avais prévu de lire mais je suis restée à fixer la mer. J'étais fascinée par le spectacle du soleil qui descendait dans la mer. Cela me rassurait de savoir que peut importe tous mes problèmes ou que tous mes repères s'effondrent, le soleil se coucherait toujours au même endroit et que les vagues continueraient à venir.

J'ai brisé le silence.

- Ça me fait penser aux films de Kitano. La mer est toujours présente. Je me demande pourquoi je trouve ça beau la mer.

J'aurais pu continuer à poser mes questions pendant plusieurs minutes. J'aurais aimé savoir si j'aimerais toujours la mer si je n'entendais pas le bruit des vagues, combien de gens prenaient la mer en photo chaque année. J'aurais voulu lui dire que je voudrais que quelqu'un m'aime comme les vagues qui finissent toujours par revenir peut importe ce qu'on foire. Mais Ken m'a observé avec un air indescriptible qui m'a fait taire. J'ai plongé mes yeux dans les siens. Sous les derniers rayons du soleil, son visage était baignée d'une lueur dorée. Il a posé sa casquette sur le sable.

- On a pas besoin d'une raison pour aimer quelque chose. Il y a des choses et surtout des sentiments qui sont inexplicables.

Son regard semblait me transpercer. Le soleil s'était enfin couché. Je pouvais laisser aujourd'hui derrière moi. Il faisait nuit et j'étais prête à parler. A me confier.

- Je me sens prête à t'expliquer Ken.

Il a relevé les yeux en ma direction et a hoché de la tête. Il n'y avait plus de retour en arrière possible. Pour une fois, il fallait que j'accepte d'avancer et tout laisser derrière moi. En espérant que mon passé, contrairement aux vagues, ne me rattrape pas.

Vénéneuse - NEKFEUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant