Chapitre 28 : Sang, boue et Tigres

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Les gouttes refroidirent son visage. Non, le froid ne la rafraîchissait pas. Il la brûlait. Il était mordant, impitoyable. Elle le sentait jusque dans ses os.

Mais ce qui la ramena vraiment à elle fut la douleur lancinante qui pulsa depuis sa tête. Allongée sur le ventre, le visage à moitié dans la boue et les feuilles mortes, elle porta sa main à sa tempe et observa avec horreur le sang sur ses doigts.

Les Tigres, la falaise, le combat...

Dans un effort pénible, elle se retourna sur le dos pour libérer son deuxième œil encore clos. Elle l'essuya à tatillon mais un spasme figea son bras. Elle gémit. Son corps était brisé. Elle sentait les petits morceaux d'os s'enfoncer dans sa chair. Ses muscles, ses tendons, ses articulations, tout était détruit. Elle avait été réduite en charpie.

La douleur, sa précieuse amie ces temps-ci, se promenant de ses orteils, à ses mollets puis à ses cuisses en passant par ses hanches... Elle remonta jusque dans ses clavicules et sa boîte crânienne.

Akélia fixa un nuage en clignant des yeux sous la petite averse. L'orage s'était apaisé. L'eau de pluie ruisselait sur ses joues, mélangeant son sang à la boue. Elle laissa ses larmes la rejoindre.

Son barrage intérieur ne tenait qu'à un fil. Elle sentait ses souvenirs se presser en elle, ravis de pouvoir l'emporter dans l'inconscient.

L'alchimiste se raccrocha à ses derniers instants de lucidité.

Le cri d'Adrien, la chute, Kay...

Kay !

Elle gémit son prénom. Sa langue était pâteuse et ses cordes vocales enflammées. Dans une lutte surhumaine contre l'état de son corps, elle parvint à rouler puis pousser sur ses bras enkamythosés pour se mettre à quatres pattes. Son dos hurlait à la mort.

—Aaarg !

Elle étouffa un chapelet de jurons et s'agenouilla. Crier serait un bon moyen de se faire repérer. Et bien qu'elle n'ait pas les idées tout à fait claires, elle savait que les Tigres ne manqueraient de se lancer à sa poursuite – si ça n'était pas déjà fait.

—No...ly...

Elle pivota doucement la tête et vit Kayden écrasé à quelques mètres d'elle. Il se redressa avec moins de peine mais contint une supplication en touchant sa tête. Du sang coulait sur son visage et croisait sa cicatrice. Son regard vert argent était dans le vague, mais bien conscient. L'alchimiste priait pour qu'il n'ait pas écopée d'une commotion cérébrale, auquel cas son état se compliquerait.

—Ça va ? articula-t-elle en rampant vers lui.

Elle s'assit à côté en examinant l'assassin. Il n'avait perdu aucun membre.

—Noly... souffla Kay en touchant sa clavicule droite qui poussait contre sa peau.

Il remonta sa main jusqu'à son visage et essuya la boue qui le couvrait.

—Kay...

Sa voix rapait sa tranchée comme un couteau.

—Noly, murmura-t-il en posant son front contre le sien.

Ils restèrent un moment comme ça. Peut-être dix secondes, une minute ou dix. Le temps s'écoulait de manière différente à présent.

Kayden l'a protégé, il l'avait suivi dans sa chute. Akélia manqua de pleurer de plus belle mais se souvint de la menace qui planait sur leurs têtes.

—Est-ce-que ça va ? souffla-t-elle d'une voix rauque.

Kayden se recula et hocha doucement la tête.

Le Prince et l'Alchimiste (REECRITURE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant