Chapitre 1

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CELESTE 

Deux jours après la fameuse nuit.

— Tu dois faire un choix, la prison ou venir avec moi.

Ma voix se brise.

— Je choisis la prison.

Les yeux baissés sur mes mains, je joue avec les petites peaux de mes ongles. Je les arrache jusqu'au sang et la morsure piquante de la chaire à vif me fait frissonner. Je porte mon pouce sur mes lèvres et continue mon incision. Je mérite d'avoir mal, je mérite tout ce qui va m'arriver.

Le docteur s'assied alors sur mon lit d'hôpital et prend ma main libre dans la sienne. Elle dessine lentement le contour de mon bracelet d'hospitalisation du bout des doigts. Son contact semble étrangement m'apaiser.

— Ne te laisse pas envahir par l'émotion, me murmure-t-elle d'une voix douce. Si tu viens avec moi, je t'apprendrai tout ce que tu dois savoir et ça n'arrivera plus. Tu ne peux pas te punir pour quelque chose que tu ne maîtrises pas.

Je sens les larmes inonder mes yeux et la brûlure dans ma gorge m'empêche d'avaler correctement ma salive. Les images de la nuit dernière tournent en boucle dans ma tête. Je vois leurs visages, d'abord le choc puis la peur. Ils ont peur de moi. Ils ont raison, je suis terrifiante, je suis un monstre.

— Je ne veux faire de mal à personne.

Je renifle bruyamment alors que les larmes coulent sans discontinuer sur mes joues. Je ne mérite pas de seconde chance. Je mérite de mourir.

— Viens avec moi et ça n'arrivera plus. Je le promets.

Je déteste cette sensation. Celle que l'on ressent quand on ne pensait pas tomber si bas. Quand on pensait que l'on avait touché le fond, mais que l'on s'enfonçait encore. Ou alors, ce sentiment de désarroi total, quand on se demande comment on en est arrivé là. Ou comment une journée qui avait si bien commencé peut aussi mal tourner. On se rend compte que l'on ne maîtrise absolument rien et l'on se laisse juste entraîner dans une succession d'événements hors de contrôle et indépendant de notre volonté.

C'est à cause de ce genre d'enchaînement d'événements involontaires que je me retrouve en ce lundi matin devant le grand portail en bronze de la World Elemental Private School. Cet établissement ultra-sélecte, forment ceux que l'on appelle : les évolués.

Ils sont des hommes et des femmes étant capables d'utiliser une plus grande capacité cérébrale que le commun des mortels. Ajoutez à ça une mutation d'un chromosome ou deux et vous obtenez un évolué. Une personne pouvant contrôler un élément primaire. L'eau, le feu, l'air ou la terre.

Ça a l'air de vendre du rêve dit comme ça, on pourrait presque se croire dans un stupide film de science-fiction, mais la réalité est bien moins attirante.

Les évolués vivent entre eux, coupé du monde.

Les autres, c'est-à-dire les gens normaux, les tolèrent en apparence, mais en réalité, ils sont discriminés, rejetés et détestés. C'est peut-être de la jalousie, ou alors de la crainte toutefois, on se méfie toujours de ce que l'on ne comprend pas, ou ce que l'on ne maîtrise pas.

Cette école privée est elle-même située dans la World Elemental Private Community. Plus communément appelé la WEP. On trouve ces mini-villes un peu partout dans le monde mais celle de San Diego connaît la plus grande communauté d'évolués des Etats Unis. C'est la première que le Docteur Roosevelt à créer et c'est là qu'elle vit.

Les évolués existent depuis la nuit des temps, pourtant ils sont sortis de l'ombre que récemment. Quand le Docteur Alicia Roosevelt, génie de la neuroscience, diplômée des plus grandes écoles et lauréates de plusieurs hautes distinctions, a annoncé, il y a maintenant quinze ans, son appartenance aux évolués.

Son statut hautement respecté de ses confrères et des différents chefs d'États lui ont permis de créer différents établissements comme la WEP à travers le monde pour trouver, protéger et éduquer les personnes comme elle. Sur le coup, ça paraissait une bonne idée, mais avec le temps, on s'est vite rendu compte que c'était plus un moyen de les maintenir sous contrôle et de nous protéger d'eux.

Ils ont interdiction de quitter leur établissement après le coucher du soleil et pour voyager, ils ont besoin d'un visa spécial qu'on leur accorde très rarement.

Personnellement, je trouve qu'il s'agit plus d'une prison à haute sécurité plutôt qu'un refuge ou une communauté.

Je n'ai rencontré que très peu d'Evolués durant ma courte vie, même si la WEP se trouve dans la même ville que mon ancien lycée. À vrai dire, même la journée, ils ne sortent pas beaucoup, et quand certains, trop téméraires, le font, ils se faufilent rapidement dans les rues, la tête toujours baissée et en silence. On dirait des fantômes. Comme la plupart des gens normaux, je me méfiais d'eux, on m'a élevé ainsi, on m'a éduqué ainsi et je n'ai jamais parlé avec l'un d'entre eux pour que mon opinion change.

Pourtant, tout ça est sur le point de changer, car j'intègre la WEP aujourd'hui.

Si un jour, on m'avait dit que je me retrouverais à étudier dans cet endroit, j'aurais ri à m'en décrocher la mâchoire. Maintenant que j'y suis, je peux dire avec assurance que je ne ris pas, mais alors pas du tout. J'hésite plus entre la crise de larme ou la crise de nerf. Toutefois, je ne peux pas me permettre de craquer, si j'en suis là, c'est entièrement ma faute et je paierai le prix qu'il faudra.

Le portail s'ouvre dans un grincement strident. Je déglutis difficilement, ma gorge est sèche et ma salive s'apparente plus à de l'acide. Je ressers les anses de mon sac à dos autour de mes doigts et m'avance de l'autre côté. Encore un pas, et je suis officiellement dans l'enceinte de la WEP. Aucun humain normal n'a le droit d'étudier ici, mais j'oublie encore trop souvent que je ne suis plus une humaine normale. Je suis une Évoluée. 

The Drown (Elements Serie T.1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant