La musique tonne depuis les hauts parleurs, le sol et le torse vibrent. On se bouscule, on se rencontre, on s'embrasse. Des bières finissent par terre, d'autres sur le jean fraîchement acheté d'un nouvel inconnu. Les fumigènes se propagent dans l'air, l'étouffe, en font un blizzard fondu de blanc. Les corps bougent sous les néons, se frottent, se touchent par-dessus le son des voix tuées par le rap se diffusant sans jamais cesser. Cette soirée a tout pour me déplaire. On m'y a traîné de force, Gally et Brenda m'ont promis que je m'y amuserai. Inutile de préciser qu'aucune euphorie ne m'a traversé depuis que j'ai poussé les portes de l'antre du diable. Je hais l'odeur de la sueur qui se mélange à celle de l'alcool, l'haleine forte après le scotch, l'asphyxiante chaleur qui prend et étourdi, les adolescents qui se plaquent et s'embrassent contre le mur des toilettes et les paroles crachant la vulgarité. Je préfère le bon goût du thé et du silence, le froissement des pages d'un livre et leur exquise senteur, l'intelligence des mots, le son du téléviseur qui grésille et la douceur du plaid sur la peau. J'aurais probablement dû insister tout autant que mes amis pour rester cloîtré dans le confort de mon appartement. Un garçon me rentre subitement dedans, je manque de tomber à la renverse. Il ouvre un regard voulant charmer, passe une main experte dans ses cheveux et débite : « Excuse-moi, je ne t'ai pas bousculé par hasard. Je te trouve très, très beau. » J'hausse un sourcil peu approbateur.
« Un "bonsoir" m'aurait suffit. réponds-je froidement. »
Il dévoile de grandes dents blanches en souriant : « Je suis Thomas. Et toi, beau blond ?
- Newton.
- Voilà un très beau nom pour un très beau garçon.
- N'as-tu pas d'autres mots à la bouche ? m'agace-je doucement.
- Toi, tu n'es pas là par choix. Me trompe-je ? devine-t-il avec un sourire.
- Je hais les boites de nuit. Je hais les gens comme toi.
- Comme moi ? relève-t-il. Tu ne sais rien de moi, Newty.
- Ton éloquence et ton arrogance me suffisent pour te catégoriser, Tommy.
- Pourquoi me catégoriser ? Pourquoi pas plutôt me découvrir ?
- Je n'ai aucunement envie de te découvrir.
- Et pourquoi ?
- Tu ne m'intéresses pas.
- Si c'était réellement ton cas, tu serais déjà parti.
- Admettons alors que tu es plus distrayant que la puanteur de la sueur et de la nicotine.
- Très bien, je prends ça comme un compliment... sourit-il un peu plus. Ça te dirait de sortir d'ici, bel ange ?
- Oui. Seul. insiste-je.
- Tu n'as même pas entendu ma suggestion.
- Ce n'est pas nécessaire. »
Il me dévisage un moment avant d'essayer : « Tu as le physique d'un littéraire. Aimes-tu lire ? Écrire ? Étudier la poésie ? Dévorer des romans policiers ?
- Tu m'as cerné.
- Je ne me suis que très rarement penché vers ce type d'intérêt mais, pour te découvrir, je le ferai avec plaisir.
- Ce sont des activités que l'on fait seul. Hallelujah.
- Dans ce cas... aimes-tu débattre ? Finir une série d'une seule traite ? Cuisiner ? Philosopher ?
- Oui, mais je le ferai sans toi.
- Tu es incorruptible, ma parole ! rit-il légèrement. Ça explique pourquoi un si bel homme n'est pas déjà scotché aux lèvres d'un autre.