4 - Les désirs (2/2)

170 41 8
                                    

Vincent se glissa entre les plis d'un des rideaux violets, brodés de lys blanc : la pleine lune entièrement dégagée lui permettrait d'enregistrer les figures de la fratrie Beauciel. Il n'avait pu jusqu'ici que les écouter avec le ministre de l'Intérieur, dans ce bureau jouxtant le salon du couple royal.

Si la benjamine et le cadet, à la peau blanche, se classaient dans la moyenne ; l'aînée resplendissait, avec sa peau marron. Les notes à son sujet disaient qu'elle tenait de sa mère, d'origine africaine, quand les plus jeunes ressemblaient à leur père européen.

Tous les trois grimpèrent dans leur hippomobile après leur oncle et leur tante, chacun affichant un visage grave.

Ils discuteront longuement sur leur réunion.

Perrine Beauciel colla sa tête à la vitre du véhicule et fixa le ciel, absorbée dans ses pensées. Ses lèvres pincées montraient que personne n'infléchirait sa décision, et Vincent se félicita de vérifier par lui-même le physique de la fratrie. La voix rauque de la benjamine l'avait fait tiquer, tant elle ressemblait à celle du garçon à son club.

Maintenant, le doute n'était plus permis.

Je libérerai Bill de sa mission.

Le gamin était revenu penaud de sa filature, il avait échoué au détour d'une ruelle sombre où sa cible était entrée dans une des maisons toutes identiques, sans en ressortir pendant plusieurs jours. Du moins dans son accoutrement : le client avait dû troquer ses vêtements pour ceux d'un ouvrier. Les mains de Bill broyaient tant sa gavroche que Vincent la lui avait ôtée et avait refusé de récupérer son argent, avant de l'envoyer se laver. « Vous ne survivriez pas une semaine dans la rue », avait soufflé le gamin, mais il avait rejoint la salle de bain.

La lumière soudaine dans le bureau fit cligner des paupières Vincent, et Perrine Beauciel tourna un regard curieux dans sa direction. Il serra le pommeau de sa canne pour s'empêcher de bouger. La jeune femme ne distinguerait qu'une vague silhouette, et encore, si le temps le lui autorisait : l'hippomobile s'éloignait, chahutée par les pavés de l'allée.

— Messieurs, qu'avez-vous pensé de cette entrevue ? s'enquit Mouhsin Desymra dans son dos.

Vincent se retourna, saluèrent les souverains, et s'installa face à eux, à côté du ministre de l'Intérieur. Lui aussi préférait se confondre dans la masse avec son habit simple, malgré son statut de comte.

— Il est étonnant qu'ils rejettent l'occasion de réhabiliter leur honneur, avança le haut fonctionnaire.

Prudent dans le discours comme dans l'apparence, jugea Vincent, amusé.

Il l'avait laissé parler en premier, privilège du rang et du métier, sans compter qu'un serviteur rapportait des boissons du grand salon. La reine demanda un thé, le roi et le ministre un cognac, et Vincent se contenta d'un café. Dès que le domestique referma les portes du bureau, la souveraine l'interpella :

— Et vous, monsieur Morisot ?

La fratrie ne l'avait pas convaincue sur son envie d'accéder à la requête, y compris Melinah Beauciel. Toutefois, le couple royal n'apprécierait pas d'entendre un avis franc. Vincent biaisa :

— L'aînée pourrait accepter de travailler pour vous, moins les deux plus jeunes. Ils tiennent à leur indépendance, à garder leur distance avec la noblesse.

— Une conséquence de leur enfance.

La souveraine avait murmuré sa pensée et n'attendait pas de commentaires. Quand elle but une gorgée de son thé, Vincent l'imita.

Très bonne qualité, je me renseignerai pour mon club.

— Ne les avez-vous pas côtoyés ? poursuivit son hôtesse.

Pour une poignée de steamglas T1 : Déchéance et engrenagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant