13 - Un violoniste solitaire (1/2)

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Melinah s'immobilisa pour vérifier le plan d'Adélaïde, qu'elle suivait à la lettre avec Daphné. Le trajet chez le violoniste, Gontrand Lemercier, ancien ami de l'impressionniste Léon Poutreau, quittait le quartier des lynx, au nord de Nébelisse, et traversait trois plateaux vers l'est. Elles y avaient croisé plusieurs artistes, qu'elles avaient écoutés avec respect avant de poursuivre.

Maintenant, elles se dirigeaient vers le dernier plateau, où logeait le musicien. Melinah ne devait pas se manquer l'embranchement, sinon elle et Daphné finiraient par se perdre au milieu des montagnes et ravins. Mais la présence de la jeune femme qui lisait par-dessus son épaule gênait son analyse de la carte. Un parfum de violette lui donnait une envie de goûter à ce bonbon, et elle avait l'impression d'entendre le cœur de son amie, à moins que cela fût le sien.

Il battait un peu plus vite.

Nous marchons en plein soleil, depuis une bonne heure, se défendit-elle.

D'ailleurs, son rythme cardiaque et sa respiration s'apaisaient. Melinah rapprocha le plan, comme si elle parviendrait mieux à le déchiffrer ainsi, et Daphné lui demanda :

— Nous nous sommes trompées de route ?

— Non, pourquoi dis-tu cela ?

Sa réponse trop sèche la fit se pincer les lèvres, et elle s'éloigna de deux pas de la perturbatrice. La jeune peintre rougit avant de répliquer :

— Tu as l'air... tracassé.

— C'est juste que je n'ai pas l'habitude de me promener aussi longtemps.

Un mensonge, mais il déclencha un sourire sur la frimousse de Daphné, si jolie sous son chapeau de paille avec son ruban vert.

— Alors, nous devrions nous balader plus souvent. Nous emporterions des carnets à dessin, un pique-nique, et arpenterions les montagnes à la recherche de scènes champêtres sous les brumes matinales ou le soleil couchant. Ou nous irions au bord de mer et croquerions marins et passagers à bord des voiliers.

Son amie regardait le ciel, la tête penchée, des nuages rêveurs dans ses yeux mordorés. Le cadre bucolique, avec ses fleurs multicolores dans les prairies, accueillait tant la peinture que la poésie. Melinah ne put s'empêcher de la taquiner :

— Ensuite, nous rentrions, les bottines et le bas de nos habits crottés de terre, des courbatures dans les jambes, des ampoules aux pieds. Que diraient nos familles ?

Hormis les bottes plates et les chapeaux en paille à larges bords, leurs longues robes blanches, parsemées de coquelicots pour Daphné et de boutons de rose orangés pour elle-même, ne se prêtaient guère à la promenade en pleine montagne. Comme si elles avaient voulu se faire belles l'une pour l'autre.

Inepties !

— Rabat-joie ! sembla renchérir Daphné, en croisant les bras. Il nous suffit de nous habiller avec des jupes-pantalons, plus courtes, et une bonne paire de chaussures pour les randonnées.

Elle se pencha ensuite, après avoir regardé autour d'elle, comme si elle craignait des oreilles indiscrètes au milieu de cette étendue sans âme qui vive.

— Et nous éviterions le corset, cet instrument de torture que la bienséance nous oblige à endurer.

Que les hommes nous obligent à porter, aurait rectifié Perrine.

Néanmoins, Melinah ne tança pas Daphné. Si elle ne franchissait jamais ce pas, l'image de la jeune peintre sans le vêtement s'imprégna dans son esprit... sous une chemise qui ne cachait rien des formes aussi rondes que les siennes.

Pour une poignée de steamglas T1 : Déchéance et engrenagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant