6 - Nouvelles règles (3/3)

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Arthus s'empressa ensuite de rejoindre le ministère de l'Industrie et du Commerce, à quelques rues de la plateforme. La sobriété du bâtiment en pierre grise et larges fenêtres dégageait un message clair : le travail comptait avant tout. Il partageait cette idée.

L'intérieur de l'édifice était à l'image de l'extérieur avec des décorations en bois, cuir et laiton. Le seul élément original demeurait l'imposante horloge, en plein centre du vaste couloir. Elle se composait de deux anneaux mobiles au milieu d'un troisième fixe, rattaché au plafond à cinq mètres de hauteur, lui permettant de pivoter dans les trois dimensions. Son mouvement fluide et silencieux hypnotisait les rares visiteurs.

Soudain, les anneaux s'alignèrent à la verticale, une roue crantée tourna, parmi les engrenages visibles, et la petite aiguille glissa sur le chiffre romain douze. La grande pointait le trois. Une boule rougeoyante s'extirpa alors d'une boîte, aux formes arrondies, au-dessus de l'anneau fixe, puis ses plaques se déplièrent avec d'infimes grincements. 

Un phénix déployait des ailes, au plumage de feu.

Extraordinaire ! J'en avais entendu parler, mais il est encore plus beau en vrai.

L'automate, indifférent à son admiration, annonça la nouvelle heure d'une voix tonitruante. Ses yeux rubis transpercèrent ensuite le personnel qui oserait bayer aux corneilles. L'effet fut immédiat. Les têtes se penchèrent plus, le crissement des plumes sur le papier s'intensifia, le moindre dialogue se tut. Arthus déglutit et se dépêcha de rejoindre le bureau des inscriptions, situé au premier étage.

Une secrétaire, derrière son guichet, l'accueillit d'un ton froid et le fit patienter sur un banc. La pierre en était glaciale, mais Arthus n'osa pas se lever dans ce ministère où chaque geste semblait scruter et critiquer.

Heureusement, je ne travaillerai pas ici, si je réussis le concours.

Soit, il rejoindrait le centre de recherches médicales, soit celui de la police scientifique, soit encore, l'une des usines avec leur cadre privilégié.

Pour tuer le temps, Arthus caressa Rouquin et les ronronnements du félin apaisèrent sa tension. En apparence. Car la secrétaire au guichet le fit sursauter quand elle l'appela. Il respira deux fois longuement avant de se lever. Au même instant, un éclat parmi les rares personnes dans le large corridor brilla au coin de son œil : le bourgeois de l'aérocab le scrutait en se frottant la barbe.

— Qui est l'homme avec les verres sur le haut de forme ? s'enquit Arthus.

— Qui ?

Arthus se retourna, l'importun avait disparu.

— Le bureau des inscriptions ne vous attendra pas, lui indiqua la secrétaire.

Il s'excusa et se dépêcha de gagner la pièce. La porte n'émit aucun bruit, et Arthus l'imita instinctivement : un homme, dont il n'apercevait que la chevelure brune, écrivait avec application. Quand une latte de bois gémit sous son poids, le fonctionnaire redressa la tête. Son visage demeurait aussi inexpressif qu'une feuille de papier vierge.

— Bonjour, mon... monsieur, balbutia Arthus en ôtant son canotier. Je viens pour le concours.

— Je m'en doute ! Quel lycée ou université ?

— Aucun, je participe en autodidacte.

Le fonctionnaire afficha une moue dubitative. Sous son regard glacial, Arthus transpirait à grosses gouttes sous sa veste, mais il tint bon. Son attitude valut un soupir. Une question exprimée d'un ton condescendant suivit :

— Qu'avez-vous amené pour justifier votre inscription ?

— Un chat automate.

Pas un trait de son interlocuteur ne bougea, tandis que le félin s'extirpait du panier, posé sur la table.

— J'ai pensé qu'une défense sous forme d'un animal sans dévoiler son rôle faciliterait la protection d'une personne. Rouquin, lacrymogène vers le mur !

Le chat cracha une fumée blanche qui n'impressionna pas le fonctionnaire.

— C'est tout ?

Arthus déglutit, puis intima à Rouquin de tirer en guise d'avertissement. Plusieurs fois. Une lueur brève traversa les yeux bruns de l'homme.

— Ce système exige un rouage miniature et complexe, commenta-t-il avec un hochement de la tête. Il suffit pour votre inscription. Avez-vous apporté la somme totale pour le concours ?

— La somme totale ? s'étrangla Arthus. Je croyais que je devais juste régler dix pour cent aujourd'hui et le reste au moment de la compétition.

— Les consignes ont changé pour les autodidactes, annonça le fonctionnaire avec un haussement d'épaules. Je vous préinscris, ce qui vous donne un mois pour régulariser votre situation. Sinon, vous devrez retenter votre chance l'année prochaine.

Je ne parviendrai jamais à réunir une telle somme.

Elle représentait cinq années de salaire d'un ouvrier. Énorme pour eux, peu pour un ingénieur. Ce dernier la récupérerait en un an, moins si ses automates séduisaient plusieurs industries.

— Vous avez aussi la possibilité d'essayer le concours de technicien, lui rappela son interlocuteur. Au vu de votre animal, vous le gagneriez facilement.

Et je devrais me plier aux ordres d'un ingénieur ? Certainement pas !

Arthus salua le fonctionnaire et quitta le ministère d'un pied lourd, les épaules affaissées. Sa journée qui avait démarré sous les meilleurs auspices se terminait dans les abîmes.

Sombre, sans fond, sansespoir.

Pour une poignée de steamglas T1 : Déchéance et engrenagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant