19 - Partie de chasse (1/3)

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Vincent serra les flancs de son alezan, qui accéléra le trot derrière le groupe des rares bourgeois conviés à la partie de chasse royale. Tous portaient fièrement un costume aux tons vert et brun, orné de leur attribut en laiton : tissu, épice, pierre précieuse, pistolet, bateau, aérostat et... boulet de charbon. 

Comme si Honoré Fidulas, le patron de CarboIndus avait suivi ses pensées, il ralentit son hongre jusqu'à ce que Vincent soit à sa hauteur. L'homme, d'une tête de plus que lui, connaissait son pouvoir et ne baissait pas les yeux devant les nobles, rassemblés en un groupe aux couleurs estivales, autour du couple royal. Son visage poupin attirait autant les compliments que les murmures craintifs.

— Un jour, j'espère que l'échelle des statuts s'inversera. Nous apportons beaucoup plus à Nébelisse que ces sangsues.

Entre bourgeois et aristocrates, rectifia Vincent. Le peuple restera toujours en bas.

— Prenez garde, Honoré, une oreille mal intentionnée pourrait vous dénoncer.

— Les souverains aiment mes provocations, et nous adorons nous lancer des défis.

Retrouver les steamglas avant l'autre en serait-il un ?

La question le fit hausser les épaules. S'il la posait, il trahirait sa mission, et l'important se trouvait dans le but de chaque partie en lice. Le couple royal voulait récupérer les steamglas pour le bien-être du peuple, Honoré Fidulas pour s'enrichir, en plus de se proclamer en sauveur de Nébelisse. De quoi augmenter le pouvoir, ou de renverser le gouvernement.

— Vincent, vous êtes avec moi ?

Il cilla : son interlocuteur le fixait, sourcils froncés.

— Excusez-moi, vous disiez ?

— Avez-vous remis l'invitation à votre protégé ? signifia Honoré d'un ton agacé. S'il ne vient pas, je le chercherai dans tout Nébelisse et le ramènerai par le fond de son pantalon devant un parterre d'amis.

Un éclair traversa les yeux pâles du président de CarboIndus. Vincent pourrait presque voir ses dents carnassières, derrière sa bouche charnue, se refermer sur le cou du malheureux joueur.

Sur le cou de Perrine.

Lui-même ne se comportait guère mieux : il avait fixé la jeune femme lorsqu'il avait annoncé la condition de couple inscrite sur le carton modèle. Or, le critère ne s'appliquait ni à son « protégé » ni à lui-même.

Perrine avait soutenu son regard, le visage impassible, et il avait fallu toute son attention pour noter ses jolies lèvres esquisser une brève grimace.

— Je me déguiserai en servante, avait-elle ensuite opposé, une tenue plus utile pour aider Arthus et Melinah.

Les deux concernés avaient aussitôt approuvé la suggestion, et Vincent s'était incliné de bonne grâce. L'ange du collège qui l'avait poussé à se battre contre ses harceleurs et lui avait montré l'exemple avec son frère ne le décevait pas. Elle le surprenait, elle l'intriguait, elle le fascinait. Sa combativité et sa liberté de langage l'attiraient tel un papillon de nuit. Brûler ses ailes avec Perrine sous la lumière dorée de la lune ne se refuserait pas.

Honoré t'a posé une question, mon vieux. Pas le moment de penser à butiner !

Le carton d'invitation de son protégé attendait sagement à son club, comme convenu. Perrine ne l'avait pas encore récupéré.

— Oui, je la lui ai transmise, mentit-il donc. Ne vous inquiétez pas, nous viendrons tous les deux. Me permettrez-vous de convier deux couples d'amis pour cette occasion unique ?

Pour une poignée de steamglas T1 : Déchéance et engrenagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant