17 - Une nouvelle amitié (2/3)

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À l'extérieur du poste de police, Arthus inspira profondément, heureux de humer les parfums fleuris que dégageaient les parterres dans la large rue. Une brise chaude caressait sa peau, le bruissement des feuillages ses oreilles.

Il revivait, il n'irait pas en prison, il entendrait à nouveau l'infime cliquetis de ses automates pendant leurs réglages.

Où est Rouquin ?

Arthus avait pensé plus d'une fois à son chat dans sa cellule, dans l'infirmerie ; mais l'entretien avec l'officier de police avait repoussé au second plan son inquiétude. Maintenant, elle le démangeait et patienter après un aérocab risquait de prendre plusieurs heures. Son altercation avec le bourgeois le prouvait.

Je vais téléphoner à Melinah, elle me dira, et j'en profiterai pour les rassurer tous.

Un but facile à atteindre. La rue comportait des bâtiments administratifs, dont Nébelisse avait besoin, comme un centre téléphonique.

Ses pas pressés le firent descendre les cinq marches du poste de police, remonter la trottoir en direction de la plateforme des aérocabs, longer cinq édifices. Leur architecture s'harmonisait avec la fonction : en pierre bleutée et à hautes fenêtres, pour le gestionnaire de l'eau ; décorée d'éclairs et de boulets de charbon, pour l'électricité ; gravée de lys sur fond mauve, pour la banque centrale ; et ainsi de suite.

Beaucoup de fonctionnaires, reconnaissables à leur tenue obligatoire, semblable aux ornements des bâtiments, dépassaient Arthus en courant. Ils arrivaient du train à crémaillère, situé à l'autre extrémité de la rue, et commençaient leur après-midi.

Nébelisse s'enorgueillit de son administration, mais ne traite pas tout son personnel équitablement.

Si les diplômés vivaient sur le plateau, les petites mains habitaient dans la cuvette. Néanmoins, ils ne se révoltaient pas. Ne possédaient-ils pas le privilège de travailler à l'air pur par rapport au reste du bas peuple ? La hiérarchie leur bourrait sûrement le crâne avec cette idée. Le statut, le rang, toujours !

La conversation avec le professeur Riversal lui revint en mémoire. Tout n'était pas rose à Nébelisse, tout n'était pas noir. Plus d'un pays enviait leur modernité, la place des femmes ou celle des gens de couleur.

Si on réussissait à supprimer ce brouillard, la vie s'améliorerait dans la cuvette.

Or, la mission de la fratrie consistait à retrouver les steamglas... et son père. Arthus était persuadé que les deux demeuraient indissociables, quoi qu'en pense le couple royal, ainsi que sa famille.

Seulement, le professeur Riversal le considérait comme mort.

Seulement, quelqu'un avait assassiné le professeur Riversal.

Je dois prouver mon innocence... et Jia Wang pourrait m'aider !

Arthus s'immobilisa, il avait atteint le centre téléphonique : une enseigne en demi-cercle l'indiquait entre deux téléphones sur une plaque de laiton. Quelques « escargots » de cuivres décoraient la façade, elles rutilaient au soleil.

À l'intérieur, des rangées de cabines en bois et verre s'alignaient, et un guichet à chaque extrémité recevait les clients. Il suffisait de se mettre dans une des files, peu importantes à cette heure-ci. Arthus ne patienta que dix minutes. Un jeune homme en train de fixer son pupitre, où des lumières rouges et vertes clignotaient, lui demanda :

— Pour Nébelisse ou l'étranger ?

— Nébelisse, quartier des faucons.

Le garçon releva la tête, les yeux écarquillés : tous les nobles et les bourgeois possédaient un téléphone, ceux des parchemins ou des plateaux moins, le peuple rarement. Les deux dernières catégories appelaient un numéro à l'étranger ou des amis de leur statut dans Nébelisse. Peu contactaient la bonne société. Arthus devenait donc un cas à étudier. L'employé ne se gêna pas, il nota sa veste aux renforts en cuir aux coudes, sa sacoche à ceinture. La lueur de curiosité s'éteignit dans son regard, remplacée par le mépris.

— Un artisan ? Vous n'avez pas le téléphone ?

Sous-entendu, vos affaires ne fonctionnent pas assez bien pour vous moderniser.

— La dépense est prévue l'année prochaine, et je dois contacter ma sœur, gouvernante au marquisat Debeauciel à temps plein.

Arthus avait eu envie de rabaisser le caquet du freluquet. Déformer un peu la vérité lui suffisait : dès qu'on vivait sept jours sur sept sur les montagnes, le statut s'élevait.

En tout cas, mieux que le sien.

— Cabine huit, l'informa le jeune homme d'un ton plus respectueux. Indiquer juste le marquisat Debeauciel, l'opératrice vous connectera aussitôt. Vous paierez après votre appel. Deux nébels par dix minutes.

Pas donné, par rapport au salaire moyen de 1000 nébels ! Mais je n'ai pas le choix.

******

Rouquin n'a rien !

Arthus se le répétait, alors qu'il marchait d'un pied léger, aussi dansant que ses contusions le lui permettaient, vers la plateforme des aérocabs. Il avait même entendu son miaulement, grâce à Melinah qui gardait son chat automate au manoir. Son aînée, puis sa famille, l'avaient pressé de multiples questions, tant qu'il avait dû rappeler le prix de la communication.

Ne t'inquiète pas, nous la paierons, avait répliqué son oncle.

Sa tante l'avait grondé, mais l'avait tenu au bout du fil encore plus longtemps ! Elle ne voulait pas attendre son retour. Elle voulait tout savoir. Tout de suite. Arthus avait alors édulcoré ses péripéties depuis son entrevue avec le professeur Riversal jusqu'à sa libération, et conclu en promettant de donner plus de détails ce soir au manoir.

Nous ferons le point sur la mission après le repas dans la chambre de Mella.

Il n'avait pas grand-chose à ramener, en dehors des carnets de son père. Peut-être la chance avait souri à ses sœurs.

Ses pas s'arrêtèrent enfin à la plateforme des aérocabs, à l'architecture identique à ses pairs dans les montagnes. Elle se distinguait toutefois par la forme des réverbères stylo-plume sous une lampe à quatre côtés, en forme de parchemin. La lumière représentait les idées, que recevait le papier par la pointe du crayon.

En cette fin d'après-midi, le va-et-vient des aérocabs émerveillait plus les enfants des environs. Les brûleurs entretenaient un feu continu, les amarres volaient entre les pontons d'accostage et les machines, les moteurs crachaient une fumée blanche au moment du décollage.

— Je serai pilote et mon emblème sera un ange, déclara une petite fille dans les dix ans.

— Un ange ! pouffa un gamin. Un démon, ça c'est top !

— Faudrait que tu travailles plus à l'école.

Les enfants se fixaient d'un air si en colère qu'Arthus intervint :

— Croyez en vos rêves, et respectez ceux des autres. Où sont vos parents ou vos nourrices ?

— Elles caquettent sur le banc là-bas.

Quand le petit garçon battit des ailes imaginaires, la fillette mima un bec avec sa main. Puis ils « s'envolèrent », le rire sur les lèvres. Le cœur d'Arthus se pinça. Ces enfants lui rappelaient sa jeunesse avant la déchéance familiale, la fratrie soudée jouait aux explorations sur le modèle de leur père ou aux rendez-vous mondains de la bonne société. Sous le regard attendri de leur mère, sous celui éducatif de Louise, leur gouvernante.

Je vous souhaite une vie plus heureuse que la nôtre.

Pour une poignée de steamglas T1 : Déchéance et engrenagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant