Chapitre 1 - La fuite

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— Cessez de vous dérober, lâche ! Prenez vos responsabilités et épousez ma fille dès aujourd'hui !

Le visage de Monsieur Joseph Ravignant était rouge et gonflé d'émotions. Ses yeux bouffis par des années de bombances luisaient d'une colère véritable. Cependant, un rictus goguenard agitait un coin de sa lèvre molle.

Tibère secoua la tête à la négative, écœuré par la vision de son oncle.

— La mort plutôt que d'épouser Amélie ! s'écria-t-il en croisant les bras, rassemblant tout son courage. Une jument boiteuse vaut mieux qu'elle !

— Vous n'êtes qu'un pleutre ! crachota Ravignant pour réponse.

Tibère observa la stature solide du gros homme : il dépassait l'embrasure de la porte de sa chambrée et une seule de ses mains faisait la taille d'une poêle à frire.

Monsieur Ravignant s'avança, menaçant. Le jeune Tibère frissonna.

— Qui pensez-vous être, petite larve ! Vous devriez être heureux que je vous concède ma fille, après ce que vous lui avez fait ! Je le répète, prenez vos responsabilités !

— Votre fille n'est qu'une oie stupide ! Et vous...

La voix de Tibère vacilla, il avala sa salive avant de continuer :

— Et vous, vous êtes un escroc et un criminel !

Les joues pendantes de Monsieur Ravignant tremblèrent, secouées par un souffle brûlant :

— Comment osez-vous m'insulter, après tout ce que j'ai fait pour vous ! Espèce d'ingrat ! Vous n'êtes rien, sans moi ! L'héritier des Petremand de Frosnier ? Fi ! Un orphelin, oublié de sa famille, désargenté et sans éducation ! Un vil faquin, voilà ce que vous êtes devenu, malgré tous mes efforts ! Vous m'avez fait la disgrâce de trousser ma fille, il vous faut payer votre faute ! Amélie ne souffrira point de votre légèreté ! Épousez là, j'ai fait venir le prêtre !

— L'héritage laissé par ma mère est pour vous une solide consolation, n'est-ce point ? Depuis toujours..., la voix de Tibère s'étranglait dans sa gorge, depuis toujours, vous n'avez de cesse de piller ce qui me revient de droit ! Vous souhaitez maintenant me forcer au mariage ! Jamais je n'ai touché un seul cheveu d'Amélie, et vous le savez fort bien !

Le nez de Tibère se mit à couler de larmes refoulées. Il s'essuya d'un revers de bras, le cœur soulagé d'avoir enfin dit ce qu'il pensait depuis des années. Cependant, la grimace de Ravignant lui fit ravaler ce moment de bravoure.

L'oncle s'approcha de lui et saisit entre ses doigts énormes, le col de sa chemise froissé. Il le secoua si fort qu'il en perdit la vue quelques instants.

— Je vais vous enfermer dans la cave, c'est là qu'est la place des rats dans votre genre ! Cela vous rafraichira les idées, en attendant l'arrivée du prêtre !

— Je... Je n'épouserai pas Amélie ! répéta encore Tibère, la mâchoire serrée. Je suis l'héritier de...

— Vous n'avez aucun droit, jusqu'à vos vingt-cinq ans, vous ne pouvez accepter un mariage sans mon autorisation ! C'est moi, votre plus proche parent !

— Vous n'êtes pas de ma famille !

— Silence !

Une gifle claqua dans l'air et Tibère s'effondra sur le parquet vermoulu de sa chambre.

Derrière eux, un petit cri horrifié s'éleva. Dans le lit de Tibère Petremand de Frosnier, la jeune Amélie, dans le plus simple appareil, se cachait les yeux.

Un valet à mes piedsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant