Chapitre 3 - Vers le château de Couzières

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Isaure sentit monter en elle des sentiments étranges, au fur et à mesure qu'elle s'éloignait de la chaumière.

Quelle femme aurait été dérangée par la présence d'un garçon aussi charmant ? Elle avait encore la sensation de sa tête posée contre son épaule, son souffle doux contre la peau de sa nuque, juste derrière son oreille.

C'était naturel, de réagir ainsi. Elle le savait, étant infirmière.

Elle chassa le souvenir de son visage d'ange innocent. Elle était une demoiselle qui n'avait jamais cédé au premier charmeur venu... Mais ce simple garçon paysan aux cheveux en bataille avait réveillé quelque chose en elle. Elle secoua la tête, il fallait qu'elle se ressaisisse, depuis plusieurs semaines, elle était devenue bien plus qu'une fille de soldat.

Son père mourant lui avait laissé l'héritage de son titre chèrement gagné sur les champs de bataille. Elle était rentrée en urgence de Calais dès que cela lui avait été possible. En passant par Paris, elle avait rencontré le notaire de Jean Édouard d'Haubersart ainsi que son oncle Alexandre Joseph, un magistrat reconnu, descendu de Douai pour entendre les dernières volontés de son frère.

Quelle surprise il avait eue, en constatant qu'Isaure pouvait légalement récupérer le titre de comte offert par l'Empereur Napoléon ! Telle Aliénor d'Aquitaine en son temps, la jeune femme devint propriétaire de ses terres, sans être un garçon.

Cependant, le titre de comtesse de Bréhémont vint de pair avec d'innombrables dettes. Son père étant toujours en campagnes pour servir l'Empereur, il n'avait jamais eu l'opportunité de jouir de son statut et encore moins de s'occuper de ses biens. Elle avait eu l'occasion de se rendre au château de l'Islette et elle savait que des travaux étaient à financer. Et puis il y avait Camille... Elle ne pouvait décemment pas laisser Camille vivre dans une maison au toit percé. Sa santé était déjà si fragile et son jeune âge...

Non, Isaure devait se montrer forte. Elle devait épouser un riche héritier. Elle ne pouvait se permettre de flancher pour le premier gaudulereau croisé, aussi attirant et agréable à l'œil qu'il puisse être.

Elle sourit pourtant, le souvenir de Térence Dignard endormi contre elle lui arracha un frisson. La façon dont il avait rougi en l'effleurant à peine, lui avait donné envie faire monter le rouge à ses joues de manière encore plus vive. Il semblait si innocent, si délicat ! Il était un chiot, comparé aux rudes militaires qu'elle avait côtoyés pendant des mois. Des goujats sûrs d'eux, prompts à rouler leurs muscles pour l'impressionner. Ils avaient tous la mâchoire carrée, la barbe hirsute. Les femmes qui se pâmaient devant leurs uniformes rutilants ignoraient à quel point les soldats et les officiers étaient différents sur le champ de bataille. Ils n'avaient pas le même regard. Et elle l'avait vu plus d'une fois, quand elle s'approchait d'eux pour les soigner.

Ce n'était pas les filles de joie qui manquaient sur les camps. Elles suivaient les troupes partout où elles allaient et s'accordaient ainsi un revenu régulier... Mais ces dernières n'avaient pas la pareille fraîcheur qu'une infirmière pudiquement vêtue, ni même l'exotisme d'une fille comme elle, ayant vécu la majeure partie de son enfance à La Réunion, où les mœurs y sont différentes.

Elle saisit sans le vouloir la médaille en or de son baptême.

S'il l'avait vraiment voulu, Térence Dignard aurait pu profiter d'elle dans son sommeil, les dépouiller de leurs armes et de leur argent.

Elle soupira, sa défunte mère lui avait transmis les valeurs de charité chrétienne.

— Je ne puis le laisser ainsi, à courir les routes tout seul. Il semble déjà effrayé par Louise et moi, je n'imagine pas ce qu'il doit penser en croisant des marchands à la tombée du jour. Et je ne devrais pas non plus profiter de sa situation pour oublier mes peines d'une manière si honteuse...

Un valet à mes piedsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant