Chapitre 5 - Première nuit blanche

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Le vent froid de la nuit giflait la chevelure épaisse d'Isaure. Une autre fille aurait pu grelotter sous son manteau et serrer les dents, essayant de trouver son chemin au cœur de la nuit avec angoisse... Mais la fille du soldat Jean-Edouard d'Haubersart ne craignait rien ni personne, pas même l'obscurité la plus sombre. Elle avait vu la mort dans les yeux plus d'une fois et avait arraché d'entre ses serres plusieurs vies. Elle avait passé sa tête sous les canons et les balles des Anglais, affronté les horreurs du front et vu la monstruosité que pouvait devenir l'humanité lorsque la guerre la possédait toute entière. Ce n'était pas une route de campagne serpentant au cœur de l'Empire de France qui allait l'effrayer. De plus, elle était armée jusqu'aux dents.

Elle allait comme une flèche en direction de Montbazon, la commune adjacente de Couzières. L'expression qu'il y avait dans ses yeux était celle de la détermination.

La commune n'était qu'à un peu plus de deux kilomètres de la demeure des Serocourt et elle arriva rapidement à destination.

Aux abords de la ville, elle avait relevé la capuche de sa cape et avança incognito. De par sa stature et la largeur de ses épaules, personne n'aurait pu deviner que la silhouette à cheval était celle d'une femme. En outre, elle possédait un pantalon d'homme, ce qui la masquait d'autant plus efficacement.

Elle su exactement dans quelles ruelles passer pour se montrer encore plus discrète et arriva enfin devant le lieu qu'elle souhaitait atteindre en secret.

Il s'agissait d'une maison close, petite et assez mal famée au premier abord. Quelques lumières et des rires passaient au travers des volets entrebâillés. Isaure mis pied et à terre et attacha sa monture derrière l'établissement. Elle frappa ensuite à la porte de service, sous une petite corniche biscornue et du se baisser quand quelqu'un passa son nez dans l'embrasure :

— Bonsoir, ce n'est que moi.

— Ah, mademoiselle ! Cela fait si longtemps ! s'exclama une dame, un châle en dentelle noué autour des épaules et un bonnet de toile vissé sur la tête. Mais entrez donc, il fait si humide, ce soir ! La pluie va tomber, je le sens dans mes articulations !

La jeune femme se baissa tout à fait pour pouvoir entrer dans l'établissement. Une petite cuisine propre et bien tenue, éclairée à la lampe, se découvrit. Les placards et la table étaient tordus, la vaisselle ébréchée et l'espace minuscules, mais cela sentait bon la soupe. Loin derrière, de l'autre côté d'un rideau de velours mauve, un parfum plus capiteux, mais pourtant gourmand arrivait dans un effluve suave.

— La Marraine est au salon, je vais la prévenir, dit la cuisinière avec un sourire.

Elle s'éclipsa, Isaure se rendit compte à quel point l'endroit n'avait point changé. Tout était pareil que dans ses souvenirs, figé dans le temps. Même le bouquet de fleur séchée suspendu au-dessus de l'évier était toujours là. Enfin, une femme corpulente, les cheveux garnis de postiches frisés et au décolleté si généreux que les bordures de ses tétons sortaient de son balconnet ; pénétra dans la pièce étroite en roulant des épaules.

— Mademoiselle ! s'exclama-t-elle avec un grand sourire. Quel plaisir de vous voir ici, je savais que vous étiez de retour dans la région ! J'ai tant prié pour vous !

— Merci, Marraine, répondit Isaure en se levant pour saluer sa vieille connaissance. Me voilà rentrée saine et sauve.

— Seigneur, quelle frayeur, nous avons tant pensé à vous ! Allons, tout cela est fini, n'est-ce pas ? Vous êtes aujourd'hui la comtesse de Bréhémont, tout le monde en parle...

La jeune femme eut un sourire.

— Vous êtes vite renseignée...

La maquerelle eut un petit gloussement :

Un valet à mes piedsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant