Chapitre 9 : Dernières mélancolies

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Aux premières heures de la journée, Tibère fut forcé de quitter le giron de Couzières. Il dut accompagner Marie-Rose au marché et, effrayé à l'idée de tomber sur les hommes de son oncle, avait pris grand soin avant de partir d'enfiler chapeau et par-dessus pour ne point se faire reconnaître.

À bout de bras et sous une pluie fine, il porta les paniers garnis de volailles et de légumes frais tout en suivant sa collègue, qui ne cessait de piailler avec les commerçants du coin. Il serra les dents en soulevant les commissions, aussi lourdes que lui, pour les entreposer dans la charrette. Les Sérocourt ne lésinaient pas sur les dépenses en ce qui concernait la bonne chère ! Il y avait de quoi faire bombance pour la semaine entière. Où était-ce lui, qui était habitué à des repas frugaux ? Il n'avait jamais été un gros mangeur et Ravignant dînait toujours à part, dans son bureau.

Le valet de pied suivait docilement sa truculente comparse et ne vit pas, non loin de lui, un homme longiligne et aux allures sombres qui prêtait l'oreille à toutes les conversations.

— Je suis ravie que vous soyez là pour m'accompagner, sourit Marie Rose, les paniers sont si lourds ! À nous deux, nous allons bien plus vite. Et votre compagnie change un peu de celle dont j'ai l'habitude.

— Pourquoi dites-vous cela ? demanda Tibère avec curiosité.

— Vous avez des manières si différentes ! Votre manière de parler, si polie. Et puis votre écriture, vous avez écrit notre liste de commission de si jolie façon ! Bonjour Monsieur ! Nous prendrons un demi cochon pour le château de Couzières ! Tiens, votre fils n'est pas là aujourd'hui ?

Le jeune garçon rentra sa tête dans ses épaules et prit soin de ne pas croiser le regard du boucher qui lui faisait face. Ce dernier ne se souciait pas de lui, tout occupé qu'il était à se lamenter devant Marie Rose :

— Dame ! C'est qu'il a quitté la ferme.

— Comment ? Mais... pour s'enrôler ?

— Bon Dieu, non ! L'est bien trop jeune encore pour l'armée ! Non, il est parti s'engager pour les mines à Noyers. Quand ils ont vu mon p'tit gaillard, ils l'ont recruté d'office !

— Seigneur, les mines ! C'est aussi dangereux que la guerre !

Le boucher hocha la tête, un air las sur le visage

— Oui, mais ils payent bien. C'est qu'on a des bouches à nourrir et que les temps sont durs.

Marie Rose se lamenta avec lui des conséquences de la guerre et déplora les famines qui éclataient un peu partout dans l'Empire. Tibère demanda :

— Excusez-moi, mais... Vous parlez des mines de cuivre, celles qui sont près de l'Abbaye ?

— Oui, tout à fait ! Un nouveau gisement qu'a été trouvé ! Avec la guerre, ils ont tout relancé ! Mais..., le boucher s'arrêta et fixa sur le jeune homme un regard désolé, navré mon gars, mais tu seras pas recruté chez eux... mon fiston est plus solide des épaules que toi.

Tibère grimaça pour toute réponse.

Foutredieu ! hurla-t-il à l'intérieur de lui-même, Ravignant m'avait affirmé chez les mines de ma famille était à sec depuis des années ! Voilà pourquoi il souhaitait récupérer mes biens, afin de les exploiter pour la guerre ! Elles doivent en réalité valoir une fortune !

Marie Rose le tira de ses pensées en se collant à lui :

— Laissez-le, tant de gentils garçons sont partis, gaspillés à la guerre... maintenant c'est dans les mines qu'ils s'en vont !

Un valet à mes piedsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant