ACTE I, Scène 3

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Il est tard, il fait nuit. Sylvain est assis sur le canapé de son salon, anxieux. Les lumières vacillent entre intensité et obscurité, imitant son état. Il attend, impatient, nerveux. Il est incapable de rester en place : sa tête, ses yeux, ses lèvres, ses mains, ses jambes, rien ne reste immobile tandis qu'il évolue dans la pièce. Il attend que Charlotte vienne, qu'elle rentre enfin d'il ne savait où.

Enfin, Charlotte entre. Elle est au téléphone, un sourire aux lèvres, ne saluant même pas son petit ami. Lui s'assoit, attend encore, il contient visiblement son corps. C'est douloureux.

CHARLOTTE. Attends ma chérie, je te laisse, je suis à la maison là. Oui, Sylvain est là. Plus agité que jamais d'ailleurs, je te laisse. Oui, oui, on se voit demain de toute façon. Je te raconterai. Bien sûr chérie. Quoi ? Oh, non, je ne pense pas que ça soit grave. Je te laisse, bisous !

Elle raccroche, range son téléphone dans sa poche, pose son sac, retire son manteau et ses chaussures, elle prend son temps, elle n'est pas pressée ni inquiète malgré l'angoisse de son compagnon.

CHARLOTTE. Désolée, on a eu beaucoup de travail au boulot et j'avais pas eu le temps d'appeler Mélanie. On a du mal à tenir les délais, il nous demande de faire des heures sup', t'y crois ça ? Ils peuvent pas embaucher, je sais pas moi, des CDD ou des intérimaires plutôt ?!

SYLVAIN. Charlotte ?

CHARLOTTE. J'en ai marre de mon chef. Il sait pas faire son boulot, honnêtement. Il fout toujours la merde dans les plannings ! C'est pas si compliqué, pourtant, on est une petite équipe, mais non ! Monsieur fait n'importe quoi et nous blâme derrière de ne pas tenir les délais. On est toujours en train de réparer ses conneries, forcément qu'on prend du retard. Incompétent de merde.

SYLVAIN. Charlotte, écoute-moi, s'il te plaît.

CHARLOTTE. Oh je le fais souvent, t'écouter. Elle s'assoit sur le canapé. Bon, de toute façon j'ai fini, qu'est-ce qu'il y a ? Tu fais une tête d'enterrement depuis que je suis rentrée.

Sylvain hésite, l'observe brièvement, baisse le regard. Ses mains sont plus intéressantes. Ses mains n'ont pas ce regard dur, légèrement infantilisant, comme une mère occupée accordant une seule minute à son enfant. Il n'aimait pas ce regard-là. La lumière se stabilise, à un faible niveau.

SYLVAIN. J'ai... j'ai quelque chose à te dire. C'est important. Je pense que... Je trouve, plutôt. Ouais. Je trouve que ça se passe mal entre nous en ce moment.

CHARLOTTE, avec un soupir. Je sais et je t'ai déjà dit ce que j'aimerais que tu changes. Je peux te refaire la liste, si tu veux.

SYLVAIN. Qu- hein ? Non—c'est justement de ça dont je voulais te parler. Il y a aussi des choses que... je n'aime pas. Je veux bien faire des efforts, mais sans ton aide c'est impossible. C'est...

CHARLOTTE. Oh, Sylvain... Il faut que tu apprennes à évoluer seul, un peu. Je sais qu'on a toujours été ensemble depuis le lycée, mais je ne peux pas toujours m'occuper de toi...

SYLVAIN. Mais c'est pas ce que je demande !

La lumière vacille à nouveau, s'intensifie.

SYLVAIN. Arrête de t'occuper de moi ou—je sais pas, me prendre pour un gamin ! Je vais avoir 30 ans, merde. Et je sais peut-être pas ce qui m'arrive mais c'est pour ça que j'ai besoin d'aide. J'ai besoin d'aide, merde !

CHARLOTTE. Moi, je sais ce qui t'arrives. Je sais que c'est difficile de se remettre en question, mais c'est pour ton bien, crois-moi. Tu n'es pas méchant, je le sais bien, mais tu as besoin de grandir, de mûrir.

SYLVAIN. Je peux pas continuer comme ça, Charlotte. Je peux pas continuer avec toutes ces... ces injonctions. C'est injuste, bordel ? C'est injuste de me demander tout ça alors que je te lance des appels à l'aide. Tu les écoutes pas ! Comment tu veux que je fasse, moi ? Putain, j'ai l'impression que ces derniers temps, tu me parles juste pour me disputer. J'ai l'impression que tu me prends pour ton gosse et je déteste ça. Arrête ça un peu ! Je suis un adulte qui a besoin d'aide et t'agis comme si tu savais tout mieux que moi. Moi, je te dis qu'il y a un truc qui cloche chez moi et que j'ai besoin de soutien !

CHARLOTTE. Si t'as besoin de soutien, tu devrais plutôt te tourner vers Pierre. Je veux pas jouer aux psys, moi.

Elle s'éloigne, se lève, lui tourne le dos. Il tend la main vers elle, sans faire plus d'efforts pour la rattraper. Il se met à pleurer, cloué sur place.

SYLVAIN. Me fais pas ça Charlotte, putain, je demande pas que tu sois une psy mais que tu sois ma copine ! Ma—putain.

Ce qu'il dit ensuite est incohérent, à cause de ses pleurs. Charlotte remet sa veste et ses chaussures puis se plante face à Sylvain.

CHARLOTTE. Je peux pas. T'es trop... Je te comprends plus, Sylvain. T'agis bizarrement. Tu t'exprimes comme un enfant, comment veux-tu que je te vois pas comme tel ? T'es là, tu te mets à parler trop vite en gesticulant partout, tu me récites une page Wikipédia comme si tu l'avais apprises par cœur, c'est pas comme ça que les adultes partagent leurs passions, tu sais... Et t'es égoïste. Merde, tu le remarques pas, mais tu laisses personne en placer une. Tu dis que t'es trop anxieux mais tu gueules sur tout le monde dès qu'un truc change dans ton emploi du temps. Tu sais pas faire face à l'imprévu, tu sais pas écouter, tu me fais peur. Sérieux, des fois t'as un comportement effrayant, quand tu te balances en jouant, on dirait que t'es possédé. Moi, je peux pas. Tu sais ce que mes copines disent de toi ? Je suis pas la seule qui voit tout ça et j'ai honte, moi, après ! Elles trouvent aussi que t'es un gamin immature qui pense qu'à lui, elles ont commencé à me demander si je comptais rester encore longtemps avec toi ! Alors je vais les écouter et te quitter. T'as raison. Ça va plus entre nous et il y a un truc qui cloche chez toi. Et je suis pas équipée pour te réparer. A ce stade, va te faire soigner, je sais pas. En tout cas viens pas me voir. Je veux plus entendre parler de toi, je veux que tu me laisses tranquille. J'espère que ça, au moins, tu le comprendras.

Elle quitte la pièce sans le saluer. Lui pleure toujours, plantant ses ongles dans sa peau, serrant son corps. Puis un sursaut : il se jette contre la porte qui vient de claquer, frappe contre elle, se frappe lui-même au passage. Il a envie de crier, essaye, c'est douloureux. Le bruit lui fait mal, la lumière lui fait mal, il veut arracher ses vêtements et sa peau avec, il veut tirer ses cheveux, il ne veut plus exister ni avoir de corps. C'est trop lourd, trop encombrant, trop intense. La lumière, brillante comme jamais, lui brûle la rétine. Il se couvre les yeux, les oreilles, rampant vers le centre de la pièce... Tout s'éteint quand il tombe au sol.

AuraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant