ACTE I, Scène 6

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Dans la chambre de Pierre et Lou, cette dernière est assise devant le miroir, en train de se maquiller après sa douche, enroulée dans une serviette. Sylvain est assis en tailleur sur le lit, jouant avec une bague trouvée là, une bague appartenant à Lou ou Pierre, il ne savait pas. Ça lui importe peu. Ce qui lui importe en revanche est la capacité de ses doigts à faire valser l'objet, les yeux rivés dessus comme la chose la plus intéressante au monde.

Lou finit de se maquiller et jette un regard à l'homme dans la pièce avec elle. Elle attire son attention et lui sourit.


LOU, doucement. Comment ça va ?

SYLVAIN. Bien. Il hausse les épaules. Je crois. Je sais pas, je réalise pas encore.

LOU. Ça se comprend...


Elle se lève et le rejoint sur le lit, passant un bras autour de ses épaules. Elle aussi regarde la bague bouger entre ses doigts.


LOU. Tu as déjà vu un psychiatre ?


Sylvain pause, dans l'incompréhension. Il reprend ses gestes répétitifs avec la bague.


SYLVAIN. Bah non, pourquoi ? Quoi, toi aussi tu penses que je suis fou ?


Il est sur la défensive, elle le voit et s'en inquiète. La lumière sur eux s'intensifie.


LOU, avec précaution. Non. Il ne m'a pas fait écouter le message, mais il me l'a résumé et... C'est toi-même qui a parlé d'un psychiatre. Je pense que ce n'est pas une mauvaise idée.

SYLVAIN. Ça fait beaucoup de mots pour répondre ''oui'' au final. T'aurais pu juste dire ça : ''oui, Sylvain, t'es fou''. Je l'aurais pas mal pris, tu sais.

LOU. Tu le prends mal, là.

SYLVAIN, avec des mouvements secs. Pas du tout, je le prends très bien, tu vois ?

LOU. Tu es en train de planter tes ongles dans ta peau.


Elle a raison, Sylvain est en train de gratter le dos de sa main frénétiquement. Il baisse son regard sur ses doigts tandis que Lou les couvre avec douceur de ses propres mains. Elle les caresse, serre Sylvain plus fort, pose sa tête sur son épaule.


LOU. La question, c'est pas est-ce que t'es fou ou non. Moi je m'en fiche, Pierre s'en fiche, c'est pas ce qui nous intéresse. En revanche, tu veux comprendre ce qui t'arrives, c'est logique. J'ai quelques éléments de réponse, mais il faut que tu sois prêt à les entendre. C'est à toi de faire ce chemin, de prendre cette initiative. Moi, je serais toujours là.

SYLVAIN, triste. Et Pierre aussi. Mais ça me fait peur... ça m'a toujours fait peur, c'est pas la première fois qu'on me dit que je suis bizarre, ou trop... intense. Là, j'arrive juste à la limite de ce que les autres peuvent supporter. C'est... c'est égoïste de ne pas chercher à régler ça.


Lou embrasse sa joue et tourne son visage face à elle, le fixant. Lui regarde ailleurs, vers le bas, puis vers le haut, à gauche, à droite... Il n'arrive pas à se fixer sur elle. La lumière vacille.


LOU. Y'a rien à régler, Sylvain. T'es pas cassé. T'es pas une erreur. C'est leur problème si les gens arrivent pas à aimer ce que tu es, ou s'ils ne comprennent pas.

SYLVAIN. C'est pas du jeu, aussi. Toi, tu comprends tout, et t'es déjà la copine de Pierre.


Elle éclate de rire et rompt leur étreinte, le repoussant pour jouer.


LOU. Tais-toi, plus pour longtemps en plus.


Sylvain réagit à ce qu'elle vient de dire, mais se fait couper par un mouvement de main de Lou.


LOU. Tu racontes n'importe quoi pour ne pas réfléchir à ce que je dis. Mais réfléchis-y : tu as le droit à l'amour et à l'amitié comme n'importe qui. Tu as aussi le droit de vouloir mieux comprendre ce que tu vis. Il y a des choses que tu peux gérer, des choses qui seront au-dessus de ta portée. Quoi qu'il en soit, c'est à toi que tu dois penser en premier, et certainement pas à cette connasse.


Pierre, l'air tout penaud, entre dans la chambre, coupant Sylvain avant qu'il ne réponde. La lumière devient plus douce.


PIERRE. Vous parlez de quoi ?

LOU, levant les yeux au ciel. C'est ça, fais genre t'étais pas en train d'écouter à la porte...


Pierre se fige, pris la main dans le sac. Il est visiblement coupable, ce qui fait rire les deux autres.


SYLVAIN. On peut même pas avoir un peu d'intimité ici !

PIERRE. Et on peut plus écouter aux portes tranquille. Lou, t'es une sorcière.

LOU. Ou j'ai juste une bonne ouïe. J'ai entendu tes pas y'a genre dix minutes qui se sont arrêtés devant la porte. La prochaine fois, t'as qu'à faire un effort de discrétion.

PIERRE. Oui, bon, c'est bon. Je venais pour acquiescer à ce que tu disais, en plus. La prochaine fois, je m'abstiendrai si c'est ça.


Lou se lève, rejoint Pierre et, comme pour Sylvain, elle passe un bras autour de ses épaules, le forçant à se baisser, et embrasse sa joue.


LOU. Allez, je vais m'habiller, faites des bêtises.

PIERRE. Hein ? Tu veux dire ''ne faites pas de bêtises'', non ?

LOU. Non, je vous connais. Ciao !


Elle quitte la pièce avec un rire. Pierre et Sylvain échangent un regard, puis éclatent de rire à leur tour.

Quand ils se calment, Pierre est appuyé contre un mur, fixant son ami avec un sourire.


PIERRE. Elle a raison. On va pas te lâcher. Et ce serait une bonne idée de voir un psychiatre. Enfin, c'est elle qui m'a convaincu. Elle en a déjà vu un, pour son TDA... Elle t'en parlera mieux que moi, pose lui des questions.

SYLVAIN, pas à l'aise. Ouais, je verrais.

PIERRE. Tu le feras ?

SYLVAIN. Je verrais, Pierre.

PIERRE. Promets-le. Je lui demanderai, pour vérifier.


Sylvain soupire. Il regarde la bague entre ses doigts, avec laquelle il avait recommencé à jouer.


SYLVAIN, en se levant et en marchant vers la sortie. Je dois aller aux toilettes.

PIERRE. Sylvain.

SYLVAIN, se tournant vers lui. Je te le promets. Là. C'est bon ?


Pierre hoche la tête sans sourire, avec une expression profondément inquiète. Il a peur pour son ami, il veut l'aider sans en avoir les capacités. Lou, en revanche, peut. Il faut que Sylvain lui en parle.

Une pause, Sylvain sourit à son ami pour le rassurer puis quitte la pièce.

Une fois seul, Pierre se redresse d'où il était logé et rejoint le lit, récupérant la bague que Sylvain avait laissée là pour l'enfiler à son doigt. La lumière s'éteint.

AuraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant