ACTE I, Scène 10

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Lou et Sylvain entrent ensemble dans la salle d'attente du cabinet du psychiatre. Le jeune homme est en train de mordre le bracelet que son amie lui avait offert.


LOU. Souviens-toi de ce que je t'ai dit : c'est effrayant, mais ça va bien se passer. Je crois en toi. Pierre aussi.

SYLVAIN. Ça me rassure pas, ça veut dire que si je foire, ça fera deux déçus.

LOU. Y'a rien à foirer alors t'inquiète pas, Sylv'.


Elle embrasse son front, pour le rassurer.

La porte s'ouvre sur le psychiatre derrière eux. Lou s'avance aux côtés de son ami.


SYLVAIN, l'empêchant d'avancer. Non, je vais y aller seul.

LOU. T'es sûr ?


Il hoche la tête et suit le spécialiste à l'intérieur du bureau, un joli bureau soigneusement décoré pour être chaleureux et lumineux. Le psychiatre est également plus jeune que ne l'aurait pensé son patient. Lou, de l'autre côté de la porte maintenant fermée, meurt d'inquiétude, se rongeant les ongles.

Le psychiatre sert la main de Sylvain et lui fait signe de prendre place. Il s'assoit lui-même face à son patient.


LE PSYCHIATRE. Bonjour monsieur Levy, comment allez-vous aujourd'hui ?


La question désarçonne le susnommé, qui ne s'y attendait pas. Pourtant, c'était un premier contact normal entre deux êtres humains, éloigné des formalités médicales.


SYLVAIN. Ça va. Je dois vous avouer que je suis très stressé, je ne sais pas à quoi m'attendre.

LE PSYCHIATRE. C'est souvent le cas, mais ne vous en faites pas. Je suis ici pour vous aider. Et pour cela, j'ai besoin que vous vous présentiez : votre situation, ce que vous faites dans la vie, vos passions... Tout ce qui vous semble pertinent à dire pour qu'une personne vous connaisse mieux.


Sylvain réfléchit quelques secondes, puis se lance avec une grande inspiration. Pendant qu'il parle, le psychiatre prend des notes.


SYLVAIN. Je m'appelle Sylvain Levy, j'ai 28 ans, je suis né le 16 juin 1993 à Saint-Etienne, où j'ai grandi, aussi. J'ai une sœur. J'ai fait des études de marketing à Lyon, en alternance, puis j'ai travaillé dans l'automobile. J'aime beaucoup les voitures, l'automobile en général, c'est une passion qui me suit depuis toujours, je dirais. Hum, j'ai d'ailleurs créé une chaîne YouTube avec mon meilleur ami, Pierre. C'est d'ailleurs lui et sa copine, Lou, qui m'ont poussé à venir ici, ils me soutiennent beaucoup. Honnêtement, je sais pas où je serai sans eux. Sûrement au chômage. Il rit nerveusement, la lumière s'intensifie. Et... Ouais, j'aime travailler autour des voitures. Surtout avec la chaîne YouTube, on a une liberté... impressionnante. Que j'avais pas dans mes anciens métiers. On essaye des voitures incroyables... et moins incroyables. On en détruit, aussi. Enfin, pas pour rien hein, on teste des trucs avec genre si ça marche sans huile. Ou si ça roule au champagne. Ouais, on est très cons avec Pierre. Et très fan de voitures. Je viens d'en acheter une, d'ailleurs. Une Xantia Exclusive, je l'adore. Pierre est moins sûr de mon choix, mais c'est celle que je voulais depuis des années. Je suis pas déçu... Ouais, euh, pour l'instant. Parce que j'ai tendance à avoir la poisse, donc on verra bien ce qui pétera, mais en attendant elle répond totalement à mes attentes. Puis elle est si belle... Bon, il y a quelques rayures sur la carrosserie et le ciel de toit est décollé, mais c'est des soucis qui arrivent souvent dans la vie d'une voiture, surtout de cet âge, et surtout celle-là. Pour le reste, elle est dans un état clinique ! Pierre est convaincu que je vais péter un truc dans les prochaines semaines, et il a sûrement pas tort. Elle est en très bon état et fonctionne plutôt bien. Ah, oui, non, j'ai déjà eu un problème à l'achat, une petite panne que des amis ont su réparer. Ça va, c'était pas trop cher. Mais je me demande si je pourrais avoir de la chance avec mes véhicules un jour, moto comme voiture...


Il se tait enfin, pensif. Le psychiatre lui lance un regard mi-étonné, mi-amusé.


LE PSYCHIATRE. Vous avez effectivement l'air de beaucoup aimer les voitures, et surtout la vôtre...

SYLVAIN. Vous l'avez pas vu aussi. Elle est incroyable. Ah mais j'y pense ! Il sort son téléphone. J'ai des photos, je peux vous les montrer !

LE PSYCHIATRE. A la fin du rendez-vous, si vous le voulez bien. Dites-moi, vous avez déjà fait des tests pour quoique ce soit, enfant ? Vous avez déjà vu un pédopsychiatre ?

SYLVAIN. Non, jamais.

LE PSYCHIATRE. Très bien... Vous voulez bien répondre à un petit questionnaire sur papier ? Pour que je puisse avoir une meilleure vue d'ensemble sur des critères précis.


Sylvain hoche la tête, alors le spécialiste glisse une feuille devant lui avec un crayon.


LE PSYCHIATRE. Pour chaque item, vous répondez spontanément en cochant les cases à droite. Si vous avez des questions, n'hésitez pas.


Silencieusement, un peu plus stressé qu'auparavant, Sylvain note ses réponses. Il est consciencieux, hésite parfois, jouant avec le bracelet à son poignet, ferme les yeux un instant, les rouvre, efface, renote... Tout cela sous le regard du psychiatre.

Après quelques minutes, il lui rend la feuille. Celui-ci la regarde.


LE PSYCHIATRE. Très bien... Vous êtes sûr que vous n'avez jamais fait de tests ? Aucun bilan TSA ?

SYLVAIN. TSA ?

LE PSYCHIATRE. Trouble du Spectre Autistique. L'autisme, quoi.


Un silence. Sylvain accuse le coup. Ce n'est pas la première fois qu'on lui en parle, mais l'évocation par le psychiatre rend l'éventualité tangible. Ça l'effraie autant que ça le soulage.


SYLVAIN. Non, jamais.

LE PSYCHIATRE. Très bien. C'est la piste que j'aimerais explorer en premier. Je suis étonné que ça soit la première fois qu'un médecin vous en parle.

SYLVAIN, haussant les épaules. Et comment ça se passe ?

LE PSYCHIATRE. Je vous préparerai ça pour notre prochain rendez-vous. Ça passe par divers tests, psychométrie, communication, interactions sociales... pour vois si vous réunissez les critères de diagnostic de l'autisme.

SYLVAIN. D'accord. Ça me paraît cohérent... C'est la fin là ? Je peux vous montrer des photos de ma Xantia ?

LE PSYCHIATRE, se levant et se dirigeant vers la sortie. Allez-y monsieur, je ne veux pas vous retenir plus longtemps.


Sylvain se lève à son tour tout en fouillant dans son téléphone, approchant du psychiatre.


SYLVAIN. Regardez !

LE PSYCHIATRE. Au revoir monsieur. N'oubliez pas de prendre rendez-vous au secrétariat.


Il pousse son patient dehors, qui se retrouve tout penaud devant Lou. Elle sourit.


LOU. Tu voulais lui montrer des photos de ton bébé ?


Il hoche la tête.


LOU. Fais voir ! Je m'en fiche si je les ai déjà vues. Tu me raconteras le rendez-vous plus tard.


Sylvain sourit, la lumière s'intensifiant à nouveau, et tourne l'écran de son téléphone vers elle tout en marchant à ses côtés, quittant la salle d'attente. Quand les deux sortent de scène, la lumière s'éteint. Rideau.



FIN DE L'ACTE I.

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