ACTE II, Scène 2

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Suite de la scène précédente. Pierre se fait observer par deux hommes, Sofiane et Adrien, qui murmure entre eux. Il leur lance des regards incertains, perdu, hésitant toujours entre les rejoindre ou rester là.


PIERRE. Pourquoi faire ? Ça me servirait à quoi, de les rejoindre ? C'est Lou qui me monte à la tête, elle est trop bizarre ces derniers temps, ce qu'elle dit fout la merde là-haut et elle ne veut toujours pas me dire de quoi il s'agit. C'est frustrant. Je suis... frustré. C'est pour ça que je ne pense pas clair ni droit. Ouais, je suis juste frustré à cause d'elle. Sinon, pourquoi je me sentirai tenté par... Il tourne la tête vers les deux autres hommes, qui lui font signe à nouveau. Mais merde ! C'est pas normal ce qui se passe dans ma tête... Je sais que je suis pas censé les trouver beaux et—et les observer mais... quand je regarde ailleurs, je pense à eux d'une façon que je ne devrais pas. Je sais que je ne devrais pas penser à eux comme ça. Alors, au moins, quand je les regarde, ma tête reste sur mes épaules. C'est bien. Non... Ce n'est pas bien, mais c'est mieux que rien. Ils ont l'air de me trouver à leur goût, pour quelle raison ? Même auprès de Lou, je n'ai jamais compris ce qu'on pouvait bien me trouver. Et maintenant, deux hommes me draguent et me charment—non. Ils ne me charment pas parce que je ne suis pas charmé. Je ne suis pas charmé parce qu'ils ne sont pas charmants. Pour moi. Et je ne les trouve pas charmants parce que... ce n'est pas moi. Je ne suis pas attiré par les hommes. Pas un seul homme. Je suis attiré par Lou... Où elle est ? Je veux rentrer, je ne veux plus être ici, c'était une mauvaise idée. Je le sais. J'aurais pas dû accepter. On aurait pu regarder un film ensemble, au lieu de me faire ce film dans la tête. Un bon film, un film français. Je sais pas, n'importe quoi d'autre. Ou aller ailleurs ! N'importe quel autre endroit que ce bar et ses beaux hommes.


Un soupir, suivi d'une longue pause où il contemple le fond de son verre. Il essaye de remettre ses idées en place, se bat contre elles... Un regard vers les deux hommes, et il perd. Il fait sombre et moite et sa tête ne pense qu'à ça. Une mauvaise météo pour les hétéros.


PIERRE. Ça fait mal... Merde, je pensais pas que ça ferait aussi mal. Je suis juste perdu, je ne sais pas où aller, où parler. Il n'y a pas de psychiatre pour ceux qui convoitent ce qu'ils ne devraient pas convoiter. Pour les adultères, ou pour ceux qui y pensent, un peu trop souvent, un peu trop fort... C'est cette partie de moi qui me rends mauvais, qui me transforme en connard. Et je veux juste qu'elle se taise et qu'elle me foute la paix ! Je ne veux pas l'écouter. Rien à foutre qu'elle soit si bruyante, je peux juste l'ignorer et garder ma vie sous contrôle. Oui, voilà, je dois garder le contrôle. En quoi c'est si difficile ? Il détourne enfin le regard, tout son corps est tendu. Il faut que je me casse. Oui, que je parte d'ici, que je m'éloigne de la tentation, du diable qui m'a au corps, qui s'accroche à mon cœur... Je dois me sauver avant de tomber dans le pêché face à tous ces serpents de Bible, ces Judas-David romain, ces Caïn tueur de l'Abel masculin, ceux que je devrais rejeter—


Pause. Pourquoi dit-il tout ça ?


PIERRE. Je ne suis pas quelqu'un qui haït. Je suis un être fait de chair et de sang et d'amour. Je ne sais pas ce qui me prend de détester tout à coup cette part de moi que je ne comprends pas. Ou plutôt si, je sais, et la paroisse de mon enfance, l'église de mes dimanches, elles seules connaissent le secret de mon identité. Je porterai plutôt ces vœux sodomites au confessionnal avant de les avouer, de les vivre et voir ma chair souillée—


Encore une pause. Il secoue la tête. Il ne croit pas à ce qu'il dit, il ne recrache que ce qu'il a appris. Il ne veut pas penser ainsi.


PIERRE. Pardon mon Dieu car la haine est un plus grand pêché que tous ceux que je pourrais commettre dans ma courte existence...


Une lumière auréole Pierre tout à coup. Lui, silencieux, baisse humblement la tête. Tout s'éteint quand Lou et Sylvain reviennent en riant.


LOU. T'en fais une tête, t'as vu ton ex ou quoi ?

PIERRE. Je me sens pas très bien, je crois que je vais rentrer...

SYLVAIN. Je commence à fatiguer aussi, avec le monde, la lumière, le bruit... J'ai la tête comme un cabanon !


Lui et Lou rient. Pierre sourit.


PIERRE. Ok, rentrons. Ça te dérange pas, Lou ?

LOU. Pas le moins du monde. Vous avez découvert le drag, mission accomplie pour moi !


Elle se tourne vivement, toute joyeuse, et attrape les poignets des deux hommes. Elle les traîne vers la sortie, ils se laissent faire avec des éclats de rire.

AuraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant