Sur une moitié de scène, Lou et Sylvain sont dans la chambre de la première, affalé·es sur le lit. Lou regarde le plafond tandis que Sylvain joue avec sa bague. Elle soupire.
SYLVAIN. Il est où, Pierre ? On va l'attendre encore longtemps ?
LOU. Je sais pas. Il sort presque tous les soirs en ce moment... Il dit qu'il a besoin de s'aérer et que le travail le bouffe trop. Je sais pas s'il dit la vérité, mais c'est grave inquiétant.
Sylvain se redresse.
SYLVAIN. Tu as essayé de l'appeler ?
LOU. Répondeur à chaque fois. Il répond juste pas. Ça m'énerve, si seulement il acceptait de me parler, je pourrais l'aider ! Il t'a dit quelque chose, à toi ?
SYLVAIN. Bah, euh, non, il est normal la journée. Il sort son téléphone et cherche son contact. Je vais essayer, attends.
Il porte le téléphone à son oreille et attend. Ça sonne de l'autre côté de la scène. Pierre est dans un parc, bétonné, les parcs sont rarement arborés en ville. Il sursaute en entendant la sonnerie, comme il était en train de regarder Sofiane et Adrien, qu'il avait recroisés par hasard. Les deux hommes sont en train de rire, assis sur un banc. Puis s'embrassent. Pierre regarde son téléphone et raccroche, il veut qu'on lui fiche la paix. Son regard se tourne à nouveau vers les deux hommes qui échangent un baiser.
SYLVAIN. L'enculé.
LOU. Quoi ?
SYLVAIN. Il m'a raccroché au nez !
Il se rassoit sur le lit, tourné vers Lou, et attrape ses mains. Sofiane et Adrien ont aperçu Pierre et lui font signe, lui intimant d'approcher.
SYLVAIN. Je te promets que je vais essayer de lui faire cracher le morceau. Ça va aller, tu peux compter sur moi, d'accord ?
Lou hoche la tête. Pierre approche des deux hommes.
LOU. Okay. Changeons de sujet, j'ai besoin de me calmer.
SOFIANE. Nous fais pas croire que t'es pas intéressé, c'est la troisième fois qu'on te voit passer cette semaine et on est jeudi.
SYLVAIN. J'ai revu la psy aujourd'hui. Ça s'est bien passé.
ADRIEN. Mais d'habitude, le jeudi, t'es avec ta blonde et ton cheum. Où ils sont ?
LOU, avec un sourire. Ah oui ? Raconte, vous avez avancé ?
PIERRE, sur la défensive. C'est pas mon mec, c'est mon meilleur ami. Mon meilleur ami et ma copine.
SYLVAIN. Je comprends mieux beaucoup de choses que je fais, et comment me contrôler. Enfin, pas me contrôler, mais mieux exprimer mes besoins ? Et genre, on a établi comment je pourrais en parler à mes parents, parce que c'est vrai que c'est pas facile. 'Fin, je veux faire ça bien quoi, je veux pas qu'ils pensent qu'ils ont raté un truc ou qu'ils sont fautifs. Je veux pouvoir leur expliquer...
Lou sourit. Sofiane et Adrien rient.
SOFIANE. Ça va, il blague. Hey, t'as pas à montrer des crocs aussi vite, c'est pas nous qui allons te juger !
LOU. C'est super ça. Si tu veux, je peux t'aider aussi, j'ai eu le même problème. Les femmes sont les pros des diagnostics tardifs, quand ça parle d'autisme ou de trouble du déficit de l'attention. Et pas qu'elles, ce serait plutôt toutes les personnes hors des normes genre les personnes assignées femmes, les personnes noires et arabes...
PIERRE. Désolé. Je suis sur les nerfs en ce moment...
SYLVAIN. Je vois. Mais moi, j'ai pas été... assigné ? Lou acquiesce. J'ai pas été assigné une femme ou quoi. Pourquoi c'est arrivé si tard ?
ADRIEN. Tu veux venir te détendre avec nous ?
LOU. Ce sont des choses qui arrivent. Et ça coûte de l'argent, si tes parents n'avaient pas beaucoup de moyens, ou si ça leur vient pas à l'esprit... On en parle largement que depuis peu, au final.
PIERRE. Je—je sais pas si c'est une bonne idée, les mecs, je devrais peut-être rentrer chez moi.
SYLVAIN. C'est énervant.
LOU. Même épuisant. Faut se battre.
SOFIANE. Oh, allez viens, tu ne nous embêtes pas tu sais !
Pierre a l'air peu serein. Il ne se sent pas à sa place et ne veut pas approcher ces deux hommes qui l'attirent pourtant, de vraies sirènes. Il hésite. Sylvain sourit à Lou.
SYLVAIN. Heureusement que je t'ai pour parler de tout ça, Lou. Merci, sincèrement.
PIERRE. Non, je ne peux vraiment pas rester. Mais merci de la proposition.
LOU. Et heureusement que je t'ai toi pour parler de Pierre. Il est dans le déni.
ADRIEN. Quoi, tu as peur de devenir gay si tu nous approches ? Oh, t'en fais pas, tu l'es déjà.
SOFIANE. Tu nous as surtout l'air dans le déni. Viens nous voir si tu as des questions, des soucis... ou quand tu te seras débarrassé de ton déni.
Pierre acquiesce, incertain. Sylvain et Lou se font en câlin en silence.
SYLVAIN. Vu comment ça t'impacte, c'est normal... Tu as l'air sûre de toi sur ce qu'il est.
PIERRE. J'y penserai. J'y réfléchirai, promis. Je fais que ça de toute façon, y réfléchir...
LOU. J'avais des doutes pendant plusieurs années, ça s'est confirmé récemment à mes yeux. Il m'aime beaucoup, mais il aime les hommes et je ne suis pas un homme. On a un lien spécial, mais ce n'est pas celui d'un couple.
PIERRE. Et puis je vous l'ai dit, je suis en couple. J'ai une copine et elle m'attend sûrement à l'appart' alors je ferais mieux de la rejoindre. Hum, bonne soirée !
SYLVAIN, avec un rire nerveux. Je ne serai pas étonné, plutôt agréablement surpris.
Il fuit, laissant derrière lui ses désirs. Du moins, il l'espérait. Ce n'était pas si simple, loin de là... parce que ses désirs avaient la fâcheuse tendance de le suivre. Lou reste contre Sylvain qui la berce, elle le regarde comme pour déchiffrer quelque chose, tous deux attendent le retour de l'objet de leurs pensées. C'est long, alors le noir de l'attente, de l'ennui, de la nuit, s'installe.
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Aura
Fiksi PenggemarCouleurs et émotions. D'un côté, la fierté. De l'autre, la honte. Comment avancer avec les pieds cloués au sol ? Comment communiquer quand le corps est lui-même restreint ? Les réponses ne sont pas innées. Il faudra les chercher, partir à l'aventure...