ACTE II, Scène 8

43 8 0
                                        

Retour au bar. Retour à la case départ. Pierre entre, l'air perdu, slalomant entre les tables jusqu'au comptoir. Sofiane et Adrien y sont accoudés. Ils remarquent et reconnaissent le jeune homme et se décident à l'aborder.


SOFIANE. T'es de retour !

ADRIEN. On se demandait si on allait revoir ta tête par ici...

PIERRE, se tournant vers eux, un verre à la main. Hein ?


Sofiane s'approche à petits sauts et s'assoit à côté de lui.


SOFIANE. Tu nous reconnais, au moins ?

PIERRE. Bien sûr, vous avez un peu hanté mes nuits.


Adrien s'approche en riant, s'installant au côté opposé à Sofiane. Pierre se retrouve entre les deux, mais il reste détendu.


ADRIEN. C'est, genre, super gay ce que tu dis. Alors comme ça on est dans tes rêves mouillés d'ado en—

PIERRE. C'est pas du tout comme ça, vraiment, je suis pas gay les gars. Désolé de vous décevoir, mais j'y peux rien, hein. Même si certains voudraient changer ça.


Adrien et Sofiane échangent un regard, sourcils froncés.


SOFIANE. Qu'est-ce que tu racontes ?

PIERRE. Je suis pas gay ! Je suis hétéro, j'aime ma copine, mais elle est convaincue que je suis gay et veux me quitter pour ça. Elle comprend pas, ça m'énerve, alors j'en ai parlé avec mon meilleur ami mais il pense pareil !

ADRIEN. On est quatre.

PIERRE. Mais arrêtez, je vous dis que je suis pas gay !

SOFIANE. Ok, mais dis-nous alors... quand on hante tes nuits, tu penses à quoi ?


Sofiane fixe Pierre, qui commence à se sentir mal à l'aise. Il reste silencieux, se remémorant ses pensées, essayant de les formuler sans paraître trop traître.


PIERRE. Ok, mais venez pas me dire que je suis gay après sinon je me casse. Je suis juste confus. Ouais... Euh, bon, du coup, vous me... Vous êtes là. Je pense souvent au bar. Je pense que j'ai dû bien aimer le spectacle, je suis quelqu'un de très artistique, mon ancien métier était dans le cinéma (regards entendus entre Sofiane et Adrien) et là je fais toujours de la création vidéo. C'est plus pareil mais j'ai encore les moyens de pratiquer mon art. Puis je suis musicien aussi, même si je sais pas si on peut dire que j'ai l'oreille musicale. Bon. Le souci, c'est que j'ai associé le bar à vous, je crois. Du coup, quand je pense au bar, je vous vois. Et vous êtes tout le temps là à... à me draguer. Vous m'harcelez, en fait. Enfin, pas vous en tant que personnes. Vous dans mon cerveau. Evidemment.

SOFIANE et ADRIEN. Evidemment...

PIERRE. Et puis vous étiez les clients que j'ai le plus regardé quand j'étais dans ce bar, avec ma copine et mon meilleur pote. Enfin, rien d'homosexuel là-dedans, vous étiez juste en train de me regarder et moi je me demandais ce que vous faisiez. Quoique, après ce soir-là, c'est vrai qu'il y a eu un moment bizarre où je vous ai imaginé dans la chambre, avec moi, dans une position un peu... bref. Pas le propos. Confusion, c'est la confusion. Justement parce que ma meuf veut me quitter putain ! Et je trouve pas que ça soit un motif valable qu'elle pense que je suis gay ! Parce que si elle m'écoutait, elle saurait que je le suis pas et elle resterait avec moi. Elle m'aime, elle me le dit. Pourquoi elle se torture comme ça ? Je crois que c'est ce qui m'énerve le plus. Et Sylvain ! Mon meilleur ami. Sylvain la croit et est de son côté, qu'est-ce que j'ai fait pour ça ?!

ADRIEN. J'ai mon idée.

PIERRE. Je m'en veux pour les disputes mais je peux pas faire autrement, les deux veulent pas voir la vérité en face !

SOFIANE. Oh, je suis sûr que c'est eux, oui. Redis-moi ta vision de l'autre soir ?

PIERRE. Quand vous me touchiez ? Enfin, non, attendez, merde, juste vous étiez... Je vous imaginais plutôt tactile. Il rougit. Ouais, nan, oubliez ce que je dis. Ce soir-là était grave bizarre et tout, on oublie et tout ira bien. En plus, après ça, je pouvais plus voir mon corps. J'ai mis un sweat en plein été et je me suis recouché. C'est bien la preuve que j'aimais pas ça, hein ?


Il regarde ses deux interlocuteurs, candide, qui eux échangent un nouveau regard entendu. Sofiane se râcle la gorge et se redresse.


SOFIANE. Voilà ce que tu vas faire. Tu vas retourner voir ton ex et ton meilleur pote, et tu vas t'excuser. Et tu vas les écouter. Et tu vas te poser les putains de bonnes questions avant de revenir faire ta thérapie de couple dans un bar gay. Faut que tu voies les choses en face, t'en as l'air certain, mais c'est pas toi qui as raison, là.


Pierre s'énerve. Il finit son verre d'une traite, le pose et s'éloigne des deux hommes, se tournant pour être face à eux une fois éloigné.


PIERRE. Pourquoi vous dites tous ça, merde ?!

ADRIEN, haussant les épaules. Parce que t'es là.


Silence. Réponse simple, remue-méninge dans le cerveau. Pierre perd son aplomb, sa colère, son hétérosexualité et un peu de sa dignité, tout ça à la fois. Ça fait beaucoup et il ne se sent pas plus léger. Il voulait partir, maintenant il veut rester. Il s'approche à nouveau des deux hommes.


PIERRE, à voix basse. J'irais leur demander pardon. Plus tard.

SOFIANE, avec un sourire, passant sa main dans le dos de l'homme. Tu vas rester avec nous ?

PIERRE. Un peu, ouais. Faut que je mette les choses au clair dans ma tête avant d'y aller.


Ses deux interlocuteurs hochent la tête, satisfaits de la réalisation de leur nouvel ami sur sa sexualité et sur ses proches.


SOFIANE. Oh, et chéri, quand tu rentreras, tu vas bouger ton petit cul devant ton ordinateur, l'allumer avec tes petites mains manucurées et chercher sur Google : dysphorie de genre.

ADRIEN. Tu nous remercieras plus tard.


Pierre ne comprend pas trop ce qu'ils disent. Il ne dit rien et acquiesce donc. Il verra. Ce soir, il va vivre une soirée bien remplie. D'abord, détente, et ensuite, confrontation avec Lou et Sylvain. Le reste, on verra.

AuraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant