Le psychiatre est assis à son bureau, un imposant meuble en bois sombre. Il a la mine austère, lisant des documents par-dessus ses lunettes. La lumière est faible, il a du mal à lire. On frappe.
LE PSYCHIATRE. Entrez.
Sylvain entre, courbé et mal à l'aise. Il se mord les joues, joue avec ses mains... Il en tend une, une fois devant le bureau, pour que le psychiatre la serre. Il n'en fait rien.
LE PSYCHIATRE. Asseyez-vous.
Il avait une voix d'automate, réalise Sylvain en obéissant. Décontenancé, il cesse de bouger un instant, l'observant. Peut-être qu'en regardant de plus près, il pourrait voir les gaines des fils dans son cou, ou des boulons derrière son oreille.
LE PSYCHIATRE. Pourquoi êtes-vous là ?
La question sonnait comme une accusation.
SYLVAIN. Eh bien, euh, je... je vais mal, je crois. Enfin, non, j'agis mal.
LE PSYCHIATRE. Vous avez tué ? Menti ? Pillé ? Torturé ? Frappé ? Blessé ? Insulté ? Calomnié ? Violé ? Diffamé ? Abattu ? Trahi ? Vandalisé ? Menacé ? Tabassé ? Abîmé ? Braqué ?
SYLVAIN, le coupant. NON ! Non, arrêtez avec... avec tout ça ! J'ai rien fait de ce que vous dites—enfin je crois pas...
LE PSYCHIATRE. Parfait, puisque je suis psychiatre et non pas curé. Quel est votre problème, donc ?
Sylvain hésite. Il se remet à jouer avec ses mains, à se mordre l'intérieur des joues, il baisse le regard pour réfléchir... L'homme devant lui s'impatiente.
LE PSYCHIATRE. Allons, crachez le morceau. Si vous n'avez pas de problème, ne me faites pas perdre mon temps. Pourquoi êtes-vous là ?
Sylvain panique. La lumière, pourtant faible, vacille. Il se fait tout petit dans la chaise, bégaye, en vain. Il n'arrive pas à parler, de toute évidence.
LE PSYCHIATRE. Bon, je vais vous faire raccompagner dehors.
SYLVAIN. Non ! J'en ai besoin, je veux arrêter d'être...
LE PSYCHIATRE, le regardant fixement. D'être quoi ?
SYLVAIN. Ennuyeux ? J'ennuie tous ceux autour de moi, sauf deux personnes qui me chères. Je sais pas pourquoi, aidez-moi... Je parle trop, tout le temps.
LE PSYCHIATRE. Vous bougez trop, aussi. Vous prenez trop d'espace. Les atomes que vous déplacez à chaque mouvement répété se seraient bien passés de votre intervention. Les ondes sonores que vous produisez feraient mieux de ne pas être. Ne pas exister. Vous êtes désagréable, égoïste et embêtant. L'univers est un ordre, un ordre que vous ne suivez pas, que vous dérangez quand vous ouvrez la bouche pour respirer, quand vos poumons s'emplissent d'air et l'expirent, oui, quand vous faites tout ce qu'il y a de nécessaire à votre vie misérable, vous désordonnez le monde, vous désobéissez aux lois de la nature et à celles de la culture tout à la fois, tant vous vous opposez aux autres, au reste des gens qui sont là pour faire une différence sur cette vieille terre, à toutes les personnes qui vous regardent et voient en vous tout ce que vous avez toujours voulu cacher. Crachez-le, vomissez ces paroles du pire, du mauvais, de l'injuste, de la haine, crachez cette logorrhée qu'on vous enferme, mauvaise plante que vous êtes. Vous êtes une ronce dans le jardin du cosmos, une ronce à arracher avant qu'elle n'empoisonne tout le reste. Il faut vous arracher de la terre qui a nourri le mauvais être, qui s'est de toute évidence trompée en prenant sous son aile une entité amorphe, désordonnée, chétive et vile, qui n'a fait que l'affaiblir et la tuer. Vous tuez la terre de votre haleine rance. Vous êtes un gâchis d'espace et de temps.
Sylvain se met à pleurer, incapable de se défendre, impuissant face à la violence de l'illusion, car l'homme cauchemarde mais n'en a pas encore conscience.
LE PSYCHIATRE. Vous pensez que moi, j'ai envie de traiter un patient tel que vous ? Une vermine, pas même bonne à être enfermée, seulement bonne à disparaître. Que vous disparaissiez serait le plus grand bien que vous pourriez faire au monde. Il se lève, Sylvain recule. Il fait le tour de son bureau, s'approche de plus en plus de son patient, qui lui prend peur. Disparaissez, maintenant, et ne revenait jamais disgracier la société d'un visage impudent !
Sylvain crie, s'effondre, en larmes. La lumière s'éteint, le psychiatre quitte la pièce, le bureau disparaît.
Quand la lumière revient, Sylvain est allongé sur le sol de sa chambre, hors de son lit défait. Même s'il comprend que tout ça n'était qu'un cauchemar, il pleure l'angoisse du rendez-vous prochain. Il a seulement le temps de rejoindre ses draps pour s'y réfugier avant que le noir ne revienne.
VOUS LISEZ
Aura
FanficCouleurs et émotions. D'un côté, la fierté. De l'autre, la honte. Comment avancer avec les pieds cloués au sol ? Comment communiquer quand le corps est lui-même restreint ? Les réponses ne sont pas innées. Il faudra les chercher, partir à l'aventure...