ACTE II, Scène 5

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Pierre est seul dans la chambre, allongé dans le lit. Il se prélasse, rêvasse... déprime, plutôt. Il se tourne et se retourne entre les draps, soupire, souffle, il hésite et doute, il ne sait pas quoi faire, à peine qui il est. Une illumination lui vient, à voir encore si c'est celle d'un illuminé : il se lève avec difficulté, il approche du miroir à l'opposé de la pièce. Il se regarde dedans, se retrouvant face au public.


PIERRE, à lui-même. T'as vraiment une sale gueule, Pierre. Ressaisis-toi. Il se frappe les joues. D'habitude, c'est moi qui abandonne Lou le soir. Pourquoi ça m'affecte autant maintenant que c'est le contraire ?!


Pause. Il baisse le regard avec un soupir. La déprime le tient toujours par la gorge, mais il veut tenir bon. Il ne veut pas craquer. Sofiane et Adrien arrivent derrière lui sans qu'il ne s'en rende compte – c'est son imagination qui les invoque à ses côtés. Il sursaute en relevant la tête mais ne les lâche pas du regard à travers le miroir.


PIERRE. Qu'est-ce que vous faites là ? Qu'est-ce que vous voulez ?


Il panique, mais ses hallucinations ne répondent pas. Sofiane et Adrien touche son torse, son dos, ses hanches, sa gorge, et il ne peut que se laisser faire. Au fond, il apprécie, même s'il ne veut pas encore se l'avouer. Il aimerait qu'un homme le touche de cette façon, de la même façon que sa petite amie le touchait il fut un temps. Ce n'est plus le cas depuis un moment maintenant, ça lui manque... alors pendant un instant, un tout petit instant de faiblesse, il se laisse rêver et imaginer ce qu'il pourrait être d'autre, ce qu'il pourrait faire s'il n'avait pas à être hétérosexuel.

Réalisation.

Chute.

Colère.

La réalité lui fait mal. Pierre les repousse rapidement et Adrien et Sofiane disparaissent comme ils étaient arrivés. Alors le jeune homme se regarde à nouveau, le visage tordu par une expression de colère, de frustration, de dégoût, de désarroi.


PIERRE. Comment je peux oser lui faire ça ? La tromper en pensées ? La rendre cocue dans ma tête ? J'ai vraiment un problème, un putain de problème, qu'est-ce qui ne va pas chez moi ?! Il soupire, essayant de se calmer. Je sais pas quoi faire, j'ai besoin d'être guidé, mais merde, je suis adulte ! Bientôt 30 ans, je suis censé être autonome, mais apparemment je suis encore un gamin qui a besoin de sa mère... Un gamin.


Il se regarde dans le miroir avec plus de douceur, presque une nostalgie. A la place d'inventions de son esprit, ses souvenirs font surface. Un gamin. Il en a connu un qu'il aimait bien. S'il réfléchit bien, il en connait un autre qu'il aime beaucoup, aujourd'hui. Mais il ne veut pas y réfléchir. Il lève les yeux au ciel, se trouvant ridicule, mais il joint ses mains malgré tout.


PIERRE. Dieu, si tu me fais subir ça parce que je crois pas assez en toi, c'est peut-être pour cette raison que je veux pas croire en ton existence. Je ne veux pas d'un dieu mauvais. Alors si t'es là et que tu me regardes bien galérer en ce moment, envoie... je sais pas, un signe, un ange, quelqu'un. Gabriel, le Saint-Esprit, j'en ai rien à foutre. Un truc. Pour me rassurer. Puis ça me redonnera peut-être la foi. Enfin, ça, on verra. T'as ta part du deal à remplir avant. Et je sais que tu tiens tes promesses, t'ajoute juste des clauses en petits caractères. Je retiens, pour Sodome et Gomorrhe.


Une pause. Une question lui brûle les lèvres, mais il n'ose pas la poser. Il a peur de la réponse. Peur que ce soit vrai...


PIERRE. Tu as vraiment voulu détruire une ville d'homosexuels ?


Le tonnerre gronde d'un coup, le faisant sursauter. Il souffle de soulagement une fois ses esprits repris.


PIERRE. Je suppose que c'est une réponse satisfaisante. Tu vois, on avance. Maintenant, guide-moi ô Seigneur ou je sais pas trop comment on demande ça. J'aurais dû mieux écouter au caté... Pourquoi t'as fait de moi une brebis galeuse ? Allez, amen, on en reparlera plus tard.


Il se détourne enfin du miroir. Un éclair frappe, éclairant l'intérieur de la chambre et attirant le regard de Pierre vers une robe laissée là par Lou. Sa robe rouge, qu'elle avait essayée avant de sortir avant de décider qu'elle ne voulait pas la porter. Fasciné tout à coup, Pierre s'en approche lentement et s'en saisit avec des gestes calculés, la dévoilant de tout son long devant ses yeux. Un regard vers le miroir, l'idée lui vient de l'essayer. Puis il se rend compte : c'est ridicule. Sur lui ? Cette robe rouge ? Il souffle et la jette dans un coin, s'en éloignant. Il capte son reflet en repassant devant le miroir et s'arrête un moment. Les larmes lui montent. Il attrape un sweat pour ne plus voir la forme de son corps et retourne se terrer tout déprimé au fond du lit.

AuraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant