- Où est ce qu'on va? ai-je demandé alors que sa voiture s'engageait dans une rue qui n'était pas celle où j'habitais.
- Chez toi, a-t-elle répondu sans détourner son regard de la route.
On aurait dit qu'elle avait conduit toute sa vie, pourtant, elle ne devait pas avoir eu son permis depuis longtemps. Moi, je n'avais jamais touché le volant d'une voiture.
- Mais... je ne t'ai pas donné l'adresse.Et si... elle la connaissait? Non, pour ça, il aurait fallu qu'elle me suive en douce un soir, et je ne la voyais pas jouer les espionnes. Si c'était effectivement ce qu'elle avait fait, je m'accordais le droit d'avoir un peu peur. Même si on se parlait assez souvent, je ne connaissais presque rien d'elle. À part des fragments éparpillés d'histoire familiale et le visage de sa soeur.
Mais qu'allais-je donc chercher par là ? Elle me raccompagnait juste "chez moi", même si on avait plus l'air de s'en éloigner.
Un silence gêné régnait dans la voiture, mais j'y étais habituée. Cela se passait souvent comme ça en famille, durant les longs trajets.
- Alors dis moi où tu habites, a-t-elle dit, dans un sourire malicieux.Évidemment qu'elle savait que je n'allais pas répondre.
- J'aurais bien aimé rencontrer la famille Carson au complet, a-t-elle rigolé en prenant un virage.
- Ce ne sera pas pour aujourd'hui, visiblement.
Mes mots sont restés en suspens, résonnant aux côtés du ronron du moteur.
Le silence ne me dérangeait plus, finalement. Je ne savais pas dans quelle direction elle nous emmenait. Peut être chez elle? J'avais l'impression que l'on sortait de la ville.
J'ai essayé de masquer mon inquiétude de tout mon possible. Ma mère m'empêchait de sortir sans son autorisation. Elle jugeait si je devais rester étudier ou si j'avais assez bien travaillé pour la journée. J'ai trituré la manche de mon cardigan, en gardant le regard rivé sur la route.
On s'éloignait effectivement de Bethel Park.
- Où est ce que tu m'emmènes ? me suis-je enquise, sans vraiment la regarder.
- Chez toi, j'ai dit, a-t-elle fait dans un sourire.
J'ai levé les yeux au ciel.
- Un endroit vraiment sympa.
- J'imagine que je n'aurais pas plus d'explications
Pour réponse, je n'ai eu droit qu'à un petit éclat rire, seul et succint. Ceux dont il n'y avait qu'elle qui détenait le secret.
J'ai estimé que nous avions roulé à peu près dix kilomètres avant que l'on ne s'engage dans ce qui ressemblait plus à un chemin, qui serpentait entre les arbres.
Meryem s'est garée au bout du chemin, devant un saule pleureur, faisant légèrement déraper ses pneus sur les graviers. La neige avait entièrement été déblayée. Elle a actionné le frein à main, marquant la fin de ce moment de connexion silencieuse. Je suis pleinement revenue à la réalité, après avoir contemplé ses moindres gestes.
- Nous voilà, a-t-elle déclaré.
Elle est sortie chercher son manteau sur la banquette arrière, alors que j'avais gardé le mien. J'étais toujours pétrifiée sur mon siège passager.
- Tu peux sortir, t'inquiètes.
Toujours ce petit mot à la fin de chaque phrase, quel que soit mon interlocuteur.Il faisait froid, dehors. Et je n'étais pas assez couverte. Mais rien d'autre n'importait plus que la personne à côté de qui je me tenais. Cette magnifique personne, devant qui mes jambes faiblissaient mais dont les mots voulaient me rendre plus forte.
On a emprunté un petit sentier entouré d'arbres dénués de feuilles, la neige les ayant remplacés. Je me tenais plus éloignée d'elle que d'habitude.
- Je n'ai pas trop la tenue appropriée pour ce genre de sortie, a-t-elle fait remarquer en s'arrêtant pour examiner ses bottines.
Je l'ai dépassée de quelques mètres pour regarder à travers les arbres et j'ai découvert un lac à l'eau sombre. Il se mêlait parfaitement au ciel sinistre. Ils ne formaient plus qu'une entité brumeuse et grise. Pourtant, cet endroit était l'un des plus poétiques que je n'avais jamais vus. Cette nature endormie en cette parenthèse hivernale était pure, douce, délicate.
Et j'ai compris où on était.
Peters Lake.
Ce lac où on se rendait en famille quand j'étais petite. Ce lac dans lequel j'étais tombée, mais qui m'attirait toujours autant qu'il me terrifiait. Je n'y étais jamais revenue depuis que j'avais failli m'y noyer.
- Comment tu as connu cet endroit ? ai-je demandé à Meryem.
- Un peu par hasard, en me promenant. Mais c'est la première fois que j'arrive à y venir sans me perdre et batailler avec le GPS.
J'ai souri en enfonçant mes mains dans mes poches fourrées. Évidemment, j'avais oublié mes gants chez moi.
- C'est le seul beau paysage que je connais depuis que je suis arrivée, a-t-elle dit.
- Tu n'as pas pris le temps de découvrir le coin ? me suis-je étonnée.
- Pas vraiment... a-t-elle avoué. Et mon sens de l'orientation n'est pas terrible.
- Le mien aussi est désastreux, l'ai je rassurée. Je venais ici quand j'étais petite.
Meryem a contemplé le paysage un instant avant de tourner la tête vers moi, me laissant à la merci de la douceur de son visage au teint hâlé, même en plein hiver.
- Je fais remonter des souvenirs, alors?
J'ai hoché la tête. Il y avait des moments où je préférais la laisser parler.
- Et aussi... Ethan voulait m'y emmener, cet été. Mais on n'y est pas allés.
J'avais à peine fini ma phrase qu'elle a répliqué, avec un regard assassin:
- On a dit qu'il ne faisait plus partie de ta vie.
J'ai de nouveau hoché la tête.
- C'est important, ce que je te dis, Novela.
- Je sais, ai-je murmuré.
- Surtout dans des moments comme ça, a-t-elle ajouté en s'approchant à moi, laissant nos épaules se toucher, nos doudounes se frottant l'une contre l'autre.
J'ai échappé un petit rire étouffé.
- Moi aussi, j'aurais aimé venir en famille ici, tu vois, a-t-elle dit. Du moins, avec mon père. Mais on ne peut pas tout avoir... et les gens qu'on aime peuvent s'éloigner de nous, parfois.
Je ne savais pas comment réagir face à ce qu'elle venait de m'avouer. Elle ne parlait pas souvent d'elle et de sa famille.
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Ephemeral Blue
Teen Fiction" Tu es parfaite, Novela" "Personne n'est parfait" "Alors tu es presque parfaite" Novela fait tout. Novela sait tout. Novela aime tout le monde. Elle est sage, sa parole ne dérange pas. Certains la remarquent, d'autres non. Toute sa vie est bâtie su...