Lucas Richard était en plein travail. Des morceaux de corps passaient devant lui : il les numérotait, les étudiait, écrivait ses constatations puis, il les rangeait dans un sac spécifique avant que son assistant ne les dispose dans un tiroir frigorifique. C'était comme un puzzle géant à construire, où chaque pièce s'emboitait pour former un être de chair.
Au beau milieu de son jeu grandeur nature, le légiste entendit la porte battante s'ouvrir et tomba sur le gendarme au sang-froid impressionnant. Celui-ci lui demanda ses conclusions, expliquant qu'il était pressé et devait faire au plus court. Lucas en profita pour se prendre une pause et l'invita à la salle de repos.
- Pour l'instant j'ai reconstitué trois corps mais il reste des morceaux. Je pense qu'en tout il y en a cinq. Trois femmes et deux hommes de tout âge dont une adolescente, s'exprima le médecin avec un détachement morbide.
- Vous pensez pouvoir les tracer avec leurs codes-barres ?
- Oui, ce sera un jeu d'enfant. Comme vous l'aviez suggéré, les corps sont bien la propriété de l'état et des instituts médicolégaux du coin. Je reconnais les codes, j'en vois passer souvent. Quand je ne les marque pas moi-même. Celui que je viens de terminer est issu du CHU de Thionville.
- Nicolas disait donc vrai, ce sont des corps qu'il a achetés illégalement aux hôpitaux et aux universités de science, commenta le major, soucieux.
- C'est triste à dire mais c'est souvent le cas... Bien qu'ils soient tracés, une fois vendus, on ne s'intéresse pas à ce que deviennent ces corps anonymisés par un simple numéro. Il suffit de faire croire qu'on travaille pour une université ou tout autre structure médicale et c'est bon. Avec un bon billet sous la table en sus bien sûr.
- En somme, c'est un trafic de corps banalisé.
Son café à la main, Lucas opina gravement tout en faisant craquer sa nuque. Silver songea aux nombres de personne devenues simples outils d'expérimentations : sans nom, sans reconnaissance, sans tombe, juste pour la science et la folie des hommes. Tout comme son interlocuteur qui inspectait le moindre recoin des cadavres, les mettant à nu de l'intérieur. Violés jusqu'aux plus profond de ce qu'ils furent. Était-ce moralement acceptable ? Était-ce juste ? Personne ne semblait avoir la réponse.
- Et encore, je soupçonne des trafics liés au cannibalisme. Quoi de plus simple que de ce servir comme au supermarché.
Silver s'étrangla dans son breuvage. Lucas avait l'art de refroidir une conversation...
- Et sinon, pour en revenir à Saphir, du nouveau sur les doigts ?
Changement de sujet, le légiste sourit en biais.
- On a fait l'analyse, il correspond bien à la femme que vous aviez retrouvée sur la route. Et l'oreille à votre Tiana Jones. Mais ce n'est pas tout.
Sourire satisfait, l'homme fouilla dans son bureau pour sortir une pochette d'analyse et la poser devant Silver.
- Nous avons fait correspondre une autre partie de corps anonyme avec le cadavre trouvé dans les bois. Votre Tanzanite, c'est une de ses phalanges qui se trouvait dans le congélateur.
En silence, le gendarme se saisit du document et le lut avec attention. Cinq parties de corps ne correspondaient pas aux cadavres numérotés. Des petits morceaux comme des doigts, oreilles ou une langue. Trois avaient été comparés : Ariana, Tiana et Tanzanite... Il en restait deux autres. Silver n'eut aucun doute sur leurs origines : deux autres victimes de Zircon.
- Vous n'avez trouvé aucune empreinte, aucun indice sur les corps ? Demanda-t-il en reposant la feuille.
- Rien du tout. Lepine devait travailler avec des gants de toute manière. Ah, au passage, le profil de votre Tanzanite est le même que celui des deux autres. Jeunes, trentenaires, cheveux bruns, yeux bleus. Affaiblies. Et mutilées bien sûr.
VOUS LISEZ
Zircon aux deux facettes
Mystery / Thriller14 juillet, deux femmes disparaissent mystérieusement lors d'un feu d'artifice. Volatilisées, celles-ci rejoignent le long registre des portés disparus, au grand désespoir de leurs proches. A des lieux de là, dans une bourgade idyllique de montagne...