CHAPITRE 5 : Raïken [1/1]

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"Quand un voleur t'embrasse, compte tes dents".

_Proverbe_

Mon baptême aux coutumes de la guerre fut aussi brutal qu'un jet d'eau froide en pleine figure, aussi sanglant et douloureux qu'une blessure atteinte par la gangrène. Je courais à en perdre l'haleine, capturant aux passages des scènes de violence qui demeuraient gravées sur ma rétine, échappant aux soldats rouges avec une rapidité dictée par la peur et l'instinct. Plus aucune pensée, plus aucune raison logique n'avait lieu d'être.

La palissade près du marigot, mon salut dans cet enfer, se trouvait au delà de la Carrière. En déboulant d'entre deux arbres non loin de là, je freinais net. Face à moi, Kalid défendait chèrement sa peau et celle d'un Nazara blessé contre trois mercenaires armés d'épées. Et celles-ci n'avaient strictement rien à voir avec les malheureuses rapières émoussées avec lesquels les disciples de Kosua s'entrainaient.

La preuve m'en fut donné lorsque l'une d'elle entama profondément la cuisse du jeune homme en un éclair. Poussant un râle de douleur, il s'effondra à genou tandis qu'un autre se chargeait de lui déboîter le poignet pour lui faire lâcher son arme. Comme au ralenti, je vis le troisième soldat lever son épée pour maculer la gorge du beren d'un sourire ensanglanté. Je parvins à retenir mon hurlement mais pas la bile qui remonta comme une coulée brûlante dans ma gorge. Révulsés, les yeux de Kalid aimantèrent alors les miens. L'urgence que j'y lu fut confirmé lorsqu'il se jeta sur les jambes de ses assaillants dans un dernier sursaut d'énergie, hurlant au passage :

__ Sala et Nazara sont morts, espèces de monstres ! Je n'ai plus rien à perdre !

__Non !

Mon cri eut le mérite de lui éviter la décapitation, et le soldat se contenta de l'assommer violemment, son intérêt et celui de ses acolytes sautant de Kalid à moi. Leurs yeux noirs, leur uniforme sanglant tranchant sur leurs peaux plus pâles que les nôtres, formaient un tableau effrayant. Mon instinct de survie me hurlait que je devais me sauver maintenant si je tenais à la vie.

Faisant volte-face, je percutais de plein fouet une armure rouge sang. Mon regard s'entrechoqua avec celui sanguinaire du nouvel arrivant et ce que j'y vis me terrifia. Il y avait une telle haine dans le sien, un genre nouveau de violence, au delà de tous les mots. Du coin de l'œil, je capturais le miroitement de sa lame levée haut dans l'intention évidente d'abréger ma courte vie.

C'était donc la fin. Je n'aurais pas vécu assez longtemps pour seulement savoir ce qui avait justifier un tel massacre. Qu'avions-nous fait pour mériter un tel sort, le lendemain d'une fête où avait régné la joie et les rires ? Qu'était-il arrivé à mes amis, ceux encore en vie ? Je n'en aurais même pas la réponse.

Je fermais mes paupières brûlantes de larmes pour ne pas voir tomber la main du bourreau. L'instant d'après, je reposais sur l'herbe mouillée de la rosée du matin, perdue et confuse, seule et sauvée.

Du moins en apparence. Autour de moi, le bruit du massacre perdurait au tournant du mur de la Carrière. Des ennemis ne tarderaient pas à surgir à nouveau d'entre les arbres, armés jusqu'aux dents, et près à me déchiqueter. Je n'avais aucun moyen de me défendre, aucune assurance de pouvoir rejoindre Malia ou même Linguaire dans le tumulte chaotique qui m'attendait. Et aucune assurance que l'une et l'autre soit encore en vie.

Un choix difficile s'offrait à moi. Un dilemme. Il y avait le Foyer, ma maison, ma famille, mes amis, en proie aux flammes, à la mort et à la dévastation. Et il avait cette misérable clôture de bois, fendue en un point par des sangliers quelques mois plus tôt, pas encore réparée, et aussi large qu'une aubaine. Cependant, chaque coup d'œil que j'y jetais me revenait aussi acide qu'un reproche. Je n'étais pas une guerrière, ni un fonceuse, ni même une héroïne. Dans des moments pareils, ce n'était même plus le caractère d'un individu qui avait voix au chapitre, mais son instinct de survie, implacable et primitif. J'étais désarmée. Avais-je pour autant le droit de fuir pour sauver ma peau, au détriment de celles de ceux qui m'étaient chers ?

Les Légendes De MagadãnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant