Les Légendes De Magadãn

CHAPITRE 10 : Le Colonel Kar [1/1]

Nous avions rejoint ce bourg perdu après quelques heures de marche, laissant une Soda endormie sur l'herbe d'une clairière avoisinante avec des vivres pour un jour. Kaliel n'avait pas voulu qu'elle nous accompagne dans notre quête de nouvelles fraiches, bien qu'il ait accepté de partir la chercher juste après. À condition qu'elle n'ait pas décampée entre temps, ce sur quoi il comptait beaucoup à mon avis. De toute façon, elle avait beau être guérie par le pouvoir du loa des serpents, elle n'en demeurait pas moins faible et ayant besoin de repos. Quoi qu'il en soit, pour une première sortie hors des murs du Foyer, c'était clairement raté. Le village était presque désert, en plus d'être sale et mal entretenu et l'établissement qui nous accueillait l'était encore plus.

Rouvrant les yeux, je promenai mon regard sur la taverne miteuse et sur les quelques individus de mauvaises mœurs qui s'y trouvaient. Aucun n'était de mon monde, personne ici n'était comme moi. J'avais l'impression que l'attaque du Foyer n'avait jamais eu lieu tant rien ici ne semblait avoir changé. Étais-je toujours dans le même monde ? Ces gens-là, fermés dans leurs cocon d'existence, n'étaient-ils au courant de rien ?

__ Alors, tu manges ?

Je repoussais encore plus mes couverts.

__ Non je n'ai plus faim.

__ Tu devrais manger, on a une longue route qui nous attends. Ce n'est pas si terrible ! Il y a une de mes connaissances qui...

Il s'interrompit. Le visage dans les mains, je l'observais attentivement qui me regardait, dépité.

__ Tu m'exaspères ! soupira-t-il.

__ Tu es trop avare de mot, Kalliel !

__ Question d'équilibre. Mange, je ne tiens pas à te traîner comme un boulet. La petite guerrière suffit bien assez.

__ Je préfère encore mourir de faim que d'avaler cette horreur ! Et puis où allons-nous ?

Je plissai les yeux de suspicion. Depuis le début, il me traînait dans son sillage comme un gentil démon mais je me doutais qu'il devait bien avoir une destination. Seulement, Kalliel se plaisait à me faire écumer forêts et cloaques dans le but de m'irriter.

__ L'important est qu'on s'éloigne du Foyer, non ? Ne t'inquiète pas, je gère !

__ Non, justement. Tu ne me dis rien et tu me fais tourner en bourrique !

__ Détends-toi ! répliqua-t-il à mon accusation. Tu vas finir pleine de rides trésor, et vieille avant l'âge. Je t'ai bien sauvé la mise, et j'avais même accepté ta tentative d'adoption d'un chien enragé, alors pourquoi ne pas me faire confiance ?

__ Parce que tu n'es pas sincère, Kalliel. Tu ne me dit pas tout. Et j'ai besoin de savoir.

__ Navré accolyte, j'oubliais qu'on était marié et que je te devais des comptes.

__ Tu esquives ma question ! Sincèrement, où m'enmènes-tu ?

__ Pour commencer, nous allons chercher la petite guerrière. Et ensuite on verras. Tu te fais du soucis pour rien. Du moment que tu survis, tout va bien non ?

__ Et ma famille ? Comment faire pour les retrouver ? Comment être sûre qu'ils vont bien ?

__ Ta famille n'est pas sans défense, Amour. Ta chère mère a plus d'un tour dans son sac. Tu m'agaces avec tes questions !

Je n'eus pas le loisir de répondre que déjà Kalliel bondit de sa chaise qui râcla le sol. En moins de deux secondes, il se retrouva aggressif et menaçant, empoignant par le col l'homme de bonne allure qui faisait si tâche dans le décor. Il rapprocha son visage du sien.