Chapitre 3 : Sowl

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Lorsque Sowl s'était absenté de chez lui après une énième dispute avec son père, il n'aurait jamais pensé vivre de tels moments. Il aurait pu se défendre contre ses ravisseurs, car il savait le faire. Or, se faire capturer par des bandits dans une rue bondée et prendre le risque de blesser des innocents l'avaient freiné à riposter.

Ne te fais pas remarquer.

N'utilise pas tes pouvoirs.

Ne les assemble surtout pas ensemble.

Voilà ce que son père lui répétait sans cesse, surtout après qu'il ait brûlé leur maison à l'âge de six ans. Ils avaient dû repartir de zéro et même à ce jeune âge, Sowl savait qu'il avait commis une erreur qu'il essaierait de ne plus jamais reproduire. C'était là le lot des êtres hybrides héritant des caractéristiques magiques de leurs parents : mi-démon, mi-magicien de l'air. Un don qui pouvait être aussi une malédiction, surtout lorsque l'on ne maîtrisait pas sa magie avec aisance.

Le père de Sowl ne lui avait enseigné que ce qu'il savait sur ses capacités, mais ce dont le jeune homme rêvait, c'était d'intégrer l'Académie Supérieure de Magie Élémentaire pour apprendre des techniques avancées en magie de l'air. Il travaillait d'arrache-pied pour réunir assez d'argent pour pouvoir payer les frais d'inscriptions... Pour le moins élevés.

Et aujourd'hui, il ressentait une vilaine culpabilité, celle d'avoir caché sous la latte cassée de sa chambre une petite boîte en étain contenant l'équivalent de deux milles pièces d'or. Il aurait pu les jeter au visage de cet étrange fae et ses deux acolytes marchant devant lui. Trois semaines d'absence et son père avait encore fait confiance à n'importe qui. Qu'est-ce qui avait bien pu lui passer par la tête ? Il le savait vieillissant, mais de là à s'acoquiner avec ces voyous...

—Suis-moi, petit démon, l'invita son nouveau ravisseur à la chevelure violette.

Sowl le suivit en silence et fut étonné de voir l'état des lieux qu'il faillit ne pas reconnaître. Qu'avait-il bien pu se passer ici ? Dans ses souvenirs, il s'y tenait une sorte de foire. À présent, on aurait dit qu'un cyclone avait tout balayé sur son passage. Il ne voyait plus que des carcasses de manèges, de chapiteaux et de maisonnettes réduites en miettes et de nombreux débris de bois peints de couleurs vives jonchaient le sol. Le fae l'invita à poursuivre leur route et le conduisit sous le plus grand barnum, à moitié affaissé. Des vestiges de gradins avaient été empilés à l'entrée. Le long tapis menant à la scène effondrée était d'une saleté repoussante et brûlé à certains endroits. Le démon poursuivit son chemin, se glissa à la suite du fae entre d'épais rideaux de velours, sûrement neufs, et arriva dans les coulisses, du moins ce qu'il en restait.

Le fae avança jusqu'à un bureau bancal et ôta ses affaires. Une petite créature sauta d'une poutre à moitié par terre, pour atterrir sur son épaule. Une sorte de primate à la fourrure bleu ciel, comme la couleur des yeux de son maître. Il lui caressa la tête et l'animal poussa des cris de contentement. Sowl resta planté au milieu de la pièce sans savoir quoi faire.

— Bon, nous pouvons dire que tu n'es pas très bavard, dit le fae. Je pensais que tu aurais essayé de t'enfuir, mais je constate que tu es assez instruit pour savoir qu'on ne plaisante pas avec un pacte passé avec les personnes de mon espèce. Le marché est le suivant : tu es à mon service jusqu'à temps que la dette de ton père soit soldée. Si tu refuses, soit je consens à t'échanger avec ton vieux mage de père, soit vous subirez tous les deux un terrible maléfice. Désormais, tu vivras ici et je suis ton... Comment pourrais-je me qualifier ?

Il fit les cent pas et passa une main amusée dans sa chevelure. Sowl observa le scintillement de ses bagues dans ses mèches violettes, attendant sa sentence.

— Considère-moi comme ton patron. Dina ! héla-t-il.

Quelques secondes plus tard, une petite femme aux cheveux noirs entra dans la pièce délabrée. Elle le dévisagea un court instant avant de s'avancer vers eux.

— Montre-lui les commodités et ramène-le-moi quand il sera présentable.

— Entendu. Tu viens ? lui demanda-t-elle.

Comme si j'avais le choix, voulut-il dire. Résigné, il la suivit à l'extérieur pour se rendre un peu plus loin dans le parc vers les habitations de fortune des autres résidents. Elle lui désigna deux roulottes collées l'une à l'autre.

— Ne crains rien, il n'y a que moi qui vit ici, sourit-elle.

Sowl ignorait s'il devait se méfier d'elle. Il consentit toutefois à entrer dans la plus grande caravane et resta près de la porte à observer les murs couverts de tentures chatoyantes.

— Tu peux aller dans la salle de bain en empruntant cette porte, expliqua-t-elle. Puis-je ôter tes entraves ?

Sowl acquiesça et la regarda forcer la serrure avec une habileté déconcertante. Puis, elle fouilla dans une malle et lui jeta plusieurs vêtements qu'il attrapa au vol. Ils sentaient le propre et l'encens.

— Habille-toi avec ça, j'espère que ça t'ira, c'est le plus grand que je possède.

Sowl s'abstint de lui demander la provenance des habits. Après tout, ils avaient au moins le mérite d'être lavés. Il se rendit dans l'autre roulotte, se décrassa de la tête au pied et se lança dans un démêlage de cheveux plutôt musclé à l'aide de ses doigts. Quand l'eau devint enfin plus claire, il s'épongea avec une serviette pour enfiler une blouse. Elle était un peu passée avec ses manches trois-quarts qui ne couvraient pas assez ses avant-bras, ceux qu'on remarquait facilement à cause de leur couleur charbon. Il hésita à mettre de côté les bretelles de son pantalon, mais le vêtement n'était pas assez ajusté pour lui aller à la perfection. Enfin, il dénicha un ciseau fin et entreprit de raccourcir ses cheveux ainsi que ses ongles. Satisfait de retrouver enfin une apparence normale, il s'observa un instant dans le vieux miroir piqué accroché au-dessus du lavabo. Il ne ressemblait toujours pas à un être humain avec ses cornes dépassant de ses cheveux ondulés, ni à un magicien, mais au moins, il paraissait moins effrayant avec une apparence plus soignée.

Lorsqu'il sortit, Dina sursauta en le voyant arriver discrètement derrière elle.

— Mon dieu ! s'écria-t-elle. Tu m'as flanquée une de ces frousses, je ne t'ai même pas entendu !

— Pardon, s'excusa-t-il.

— Ah, tu parles en plus ! Eh bien, Mana sera ravi de l'apprendre, sourit-elle.

— Mana ?

— Manakiel, expliqua Dina. C'est lui le propriétaire des lieux et ton nouveau patron.

Sowl resta de marbre.

Manakiel, se répéta-t-il.

Il connaissait le comte de Danvilliers, de réputation. Un prestidigitateur de renom, mais aussi un malin, un vrai fourbe. Cependant, il n'avait jamais eu connaissance de son prénom. Est-ce que cela changeait sa perception de cet odieux personnage ? Sûrement pas. Dina lui tira doucement la manche pour attirer son attention.

— Retournons au barnum, lui dit-elle. Tout va bien se passer, ne te tracasse pas.

Plus facile à dire qu'à faire.

Sowl hocha la tête, dubitatif. Il ne voyait pas comment sa captivité pourrait bien se passer s'il était contraint de se plier aux ordres d'un être aussi extravagant que lui.

Avait-il le choix ? Bien sûr que non, comme d'habitude.

Manakiel & Sowl (mxm)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant