Manakiel & Sowl (mxm)

Chapitre 17 : Sowl

Sowl avait passé la journée à ressasser sa dernière discussion avec Manakiel. Il ignorait ce qui l'avait poussé à le rejoindre dans l'enclos, encore moins ce qui l'avait encouragé à extorquer une promesse au faë. D'un côté, il attendait avec impatience d'être libéré du pacte. De l'autre, il voyait Manakiel changer au fur et à mesure des jours alors que personne ne semblait y prêter attention. Ou était-ce lui qui avait pris l'habitude de le voir sourire sans arrêt ? Et pourquoi s'inquiétait-il lorsqu'il voyait le faë déambuler sans but, ou fixer un point invisible avec un air absent ? Il se demanda s'il n'allait pas devenir chèvre en se posant autant de questions inutiles. Il devait se reprendre. Sa liberté se trouvait à portée de main.

Au beau milieu de la matinée, Sowl vit passer le faë devant le chapiteau, sans y rentrer. Son air préoccupé ne le quittait désormais plus. Ses cheveux, habituellement impeccables, étaient tout ébouriffés. Il se lança à sa suite, espérant pouvoir comprendre la raison de son comportement.

— Ah, bonjour, Sowl, salua le faë. Tu veux parler maintenant, c'est ça ?

— Oui, mais ...

— Tu peux rentrer chez toi.

Sowl le dévisagea, étonné de ce revirement de situation inattendu. Etait-ce une nouvelle ruse ? Manakiel ne semblait pas dans son état normal, si tant était qu'il en avait bien un.

— Mais ... L'Extraordinarium ?

— Rentre chez toi, répéta Manakiel d'un ton égal. Je te libère de ta promesse. Moi, Manakiel de Danvilliers, te libère Sowl. Ta dette envers moi est à présent honorée. Tu peux rentrer chez toi.

Ce fut si rapide, comme un pansement qu'on arrachait d'un coup sec. Manakiel lui tendit la main avec son habituel sourire énigmatique. Sowl ne sut comment interpréter la sensation désagréable qui fourmillait dans tout son corps. Les deux hommes se donnèrent une poignée de main. Sowl sentit alors sa nuque lui picoter. Sa marque devait avoir disparu, tout comme celle sur le poignet du faë, à présent vierge. Il resta hébété quelques secondes. Manakiel sourit davantage et remit son chapeau avant de s'en aller sans ajouter un mot.

Étrange personnage.

Sowl décida de rentrer chez lui en début de soirée. Il avait dû errer deux bonnes heures dans les rues alors qu'il connaissait le chemin. Personne ne l'importuna. Seulement des regards intrigués.

Cela lui faisait bizarre de se sentir aussi libre. Avant, il devait raser les murs pour ne pas trop se faire remarquer. Les habitants savaient que le propriétaire de la boutique d'herboristerie hébergeait son fils, celui qu'il faisait passer tantôt pour un infirme, tantôt pour un grand malade. Maintenant que toute la Municipalité connaissait son identité à force de le croiser avec Manakiel ou le reste de la troupe, il ne lui était pas arrivé ce qu'il avait redouté toute sa vie.

Les gens sont mauvais, Sowl, ne cessait de lui répéter son père.

Le démon savait qu'il avait cherché à le protéger. Il semblait bloqué dans le passé, là où les mondes érigeaient encore des barrières pour ne pas avoir à se mélanger. Mais les choses commençaient à changer. Et Sowl voulait faire partie de ce changement. Il n'avait plus peur des autres.

Quand il rentra par la petite cour pavée derrière la boutique, il fut accueilli par Rog, considéré comme la mascotte du quartier, bien qu'il préférait passer le plus clair de son temps chez les Orden. Le chien avait encore dû ouvrir la porte de l'arrière-cour pour traquer les rats trainant près de la boutique du vendeur de poisson.

— Doucement, mon vieux, dit-il en riant. Papa a encore oublié de remplir ta gamelle ?

Lorsqu'il monta dans leur petit appartement mansardé au-dessus de la boutique, il constata que rien n'avait vraiment changé depuis sa dernière visite. S'il n'était pas parti aussi longtemps, il aurait pensé que son père n'avait pas bougé de son fauteuil. Il n'y avait que sa barbe mal taillée et sa tenue débraillée qui attestaient que le temps s'était écoulé normalement. Il lui prit le livre posé sur sa poitrine puis le reposa sur la petite table basse pour le laisser dormir dans son grand fauteuil rapiécé.