Chapitre 12 : Manakiel

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— Il a dit quoi ?

Dina faisait les cent pas dans le bureau de Manakiel, les traits tirés d'inquiétude pendant qu'il lui relatait leur dispute.

— Où est-il parti ?

— Je n'en sais rien, répondit le fae en se massant la tempe. À ton avis, devrais-je partir à sa recherche ?

— Eh bien... Je ne suis pas certaine qu'il ait envie de te voir.

— Tu as peut-être raison. Je devrais envoyer Tarkin.

Son amie grimaça.

— Je vois que ça ne s'arrange toujours pas entre lui et toi d'ailleurs, constata Manakiel. Tu ne veux toujours pas me raconter ce qu'il s'est passé entre vous ?

Ça n'en vaut vraiment pas la peine, maugréa-t-elle. N'essaie pas de changer de sujet. Je vois bien comment tu te comportes avec lui. Il y a quelque chose entre vous.

— Il n'y a rien entre nous, se défendit Manakiel. Je ne lui inspire que du mépris de toute façon.

— Oh... Alors tu aimerais plutôt lui inspirer autre chose ? sourit son amie.

Merde, pensa Manakiel. De toute façon, il ne pouvait pas nier l'évidence, ni mentir.

Je vous hais, Danvilliers.

C'étaient les propres mots de Sowl. Manakiel aurait pu en être vexé ou encore affecté. Malheureusement, cela avait produit l'exact effet inverse. Il sentait encore sa présence proche de lui, son odeur masculine, son souffle sur ses lèvres, ce regard brûlant de colère... ou peut-être d'autre chose ? Et c'était précisément cela qui avait failli lui faire perdre la tête : il avait été à deux doigts de lui agripper les bretelles pour l'attirer contre lui. Néanmoins, son instinct de survie l'en avait empêché. Sowl pouvait l'écraser d'une seule main s'il le voulait.

Reprends-toi, se morigéna-t-il en chassant cette pensée.

— Même s'il aime les hommes, ou encore mieux, s'il a une quelconque attirance envers moi, je doute que commencer quoi que ce soit avec quelqu'un que j'ai obligé à me servir ne soit une base de relation très saine.

—Mais tu ne savais pas...

— Qu'il attiserait ma curiosité ? ricana le fae.

— Oui...

Son amie avait raison, tout autant que lui. En effet, il était inutile de se bercer d'illusions. Au mieux, il se contenterait de penser à Sowl de façon un peu plus fantasmée qu'un simple rêve où il le fixait avec ses pupilles sans expression. Les rêves étaient son jardin secret, il pouvait bien y faire ce qui lui plaisait et cela lui suffisait amplement. D'autant plus que Sowl ne resterait pas éternellement ici. Un jour, il partirait et Manakiel pourrait passer à un autre, une autre lubie, un autre fantasme. Comme il l'avait toujours fait. Pourtant, il n'avait pas rêvé de cette soudaine connexion entre eux. Elle ne cessait de s'altérer, mais elle était bien là, à le tourmenter.

— C'est trop tard de toute façon, ricana-t-il, amer.

Après tout, il avait déjà connu des échecs amoureux. Dans ce cas précis, il n'y avait rien d'autre que de l'hostilité de la part de Sowl. Ce serait facile de se l'ôter de l'esprit lorsqu'il retournerait chez lui. Il devait en être ainsi.

Il secoua la tête pour chasser toutes ces pensées confuses. À la place, il ouvrit le tiroir de son bureau pour déposer devant lui une bouteille d'hydromel et un verre.

Aux grands maux, les grands remèdes.

— Oh, Mana...

— Assez ! s'écria le fae. Je ne veux pas de ta compassion, Didi. Cette histoire était vouée à l'échec de toute manière. D'ailleurs, ç'en est même pas une. Une idée, tout au plus. Je ne pourrai jamais... Je ne pourrai jamais effacer ce que j'ai fait.

Il se versa un verre et le but cul sec. Comme s'il parlait pour lui-même, il continua :

— Pourtant, j'avais une chance de créer un nouveau lien, une seule et j'ai réussi à foirer ça. C'est drôle, n'est-ce pas ?

Dina resserra son châle autour de ses épaules et le considéra un instant en silence. Elle soupira, puis hocha la tête, résignée. Manakiel savait qu'elle ne voulait pas l'accabler davantage.

— Dis à Artur de venir me voir dans mon bureau avant qu'il ne sorte, dit-il.

— Mana... - elle se reprit- Entendu.

**

Dès le lendemain, Manakiel s'appliqua avec soin pour éviter Sowl et sa mine contrariée qui ne le quittait plus. Qu'avait-il pu faire lorsqu'il s'était absenté ? Il ne valait mieux pas le savoir.

Le fae se rendit chez le prêteur sur gage au centre de la Municipalité Est pour obtenir les dernières pièces d'or nécessaires pour pouvoir rembourser les dix pour cent attendus. Il tomba sur le gérant de l'enseigne, un demi-orc peu regardant sur la provenance des objets qu'il gardait.

— Oh, Danvilliers ! Ça fait un bout de temps que je n'ai pas vu ta jolie crinière par ici, sourit-il.

Manakiel lui rendit la politesse avec un sourire charmeur et s'assit à son bureau. Il déposa un écrin devant lui, attisant la curiosité du grand bonhomme en face de lui.Il se pencha pour s'emparer de la boîte à l'aide de ses doigts boudinés et grisâtres.

— Qu'est-ce que tu m'amènes aujourd'hui ? Oh ! Un ravissant couteau. Les pierres précieuses sont authentiques ?

Dans ses mains, l'objet avait plutôt l'air d'un cure-dent pour les grands crocs dépassant de sa bouche.

— Eh bien, à vue de museau... Je dirais entre neuf cents et mille deux cents. Qu'en dis-tu ?

— Oh, allons Bernie, tu pourrais faire un petit effort. Et si nous disions mille cinq cents ? Tu serais un chef.

— Je suis déjà un chef, râla le prêteur sur gage. La provenance est inconnue, je suppose ?

Manakiel hocha la tête et continua de le charmer. Bernie capitula en se carrant sur la chaise qui peinait à soutenir sa carrure massive.

— Va pour mille quatre cents. Ça te va ?

— C'est parfait.

Satisfait, Manakiel regarda l'orc sortir des pièces de cent de son coffre. Avec le compte des dix mille pièces d'or et la plus-value de quatre-cents pièces d'or, Manakiel se dirigea confiant vers la banque, prêt à se faire menacer de saisie par son banquier s'il ne réglait pas la situation immédiatement. Avec cette première échéance honorée, les télégrammes cesseraient peut-être de le menacer quotidiennement.

Cependant, ses soucis étaient loin d'être résolus. Il avait eu un mal fou pour réunir cette somme et il lui restait encore quatre-vingt-dix mille pièces d'or à réunir, sans pour autant avoir une solution pour les trouver dans un délai de dix mois. S'il obtenait une autorisation provisoire pour faire des représentations, il pourrait récolter au mieux la moitié de la somme de sa dette en quelques semaines... Mais cela ne suffirait pas. Il ne comptait pas non plus retomber dans ses vieux travers en escroquant une personne au hasard. Non, il ne referait pas ce coup-là à Dina, elle serait capable de venir voir Bernie pour récupérer le couteau du magicien et le lui planter dans la poitrine pour lui avoir causé un tel affront.

Une angoisse lancinante commençait à naître en lui, faisant tambouriner son cœur contre sa cage thoracique qu'il sentait se compresser au fur et à mesure de ses pensées vagabondes.

Manakiel réalisa alors que, malgré les efforts qu'il déployait, il ne réussirait peut-être jamais à rouvrir l'intégralité de l'Extraordinarium et le restaurer. Cela le rendait malade. Où irait Dina ? Et les autres ? Qui paierait les soins de chacun ? Manakiel se sentait pieds et mains liés, impuissant. Ce sentiment ne cessait de le tourmenter, jour après jour et aujourd'hui, le poids de son devoir l'accablait comme jamais.

Ainsi, après avoir passé la matinée et le reste de la journée à la mairie annexe de la Municipalité Est pour réitérer sa demande d'autorisation pour reprendre les spectacles, il décida de se noyer dans l'alcool et d'autres substances lui permettant d'oublier momentanément tous ses problèmes.

Il y verrait plus clair dans quelques jours... Ou bien jamais. Mais sur le moment, cela lui paraissait complètement égal et il cessa définitivement de penser lorsqu'il ne devint plus en capacité de le faire.

Manakiel & Sowl (mxm)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant