Le Jour Décisif

2-Ne m'abandonne pas

Aujourd'hui, c'est la Moisson. Ma première Moisson. Maman me dit de ne pas avoir peur, et Papa me fais promettre d'être forte. Je veux être forte, mais je ne suis pas sûre d'y arriver. Et j'aimerai être décontractée, mais je tremble de peur. On m'a dit que les Hunger Games étaient horribles, qu'on t'envoyait dans une Arène et que tu devais tuer d'autres enfants, sinon ils te tuaient. Pour voir s'ils me mentaient, j'ai regardé une édition des Jeux, et j'en étais tellement horrifiée que je n'ai jamais pu en regarder d'autres. Normalement, c'est une obligation, mais c'est plus fort que moi, je ne peux pas. Et aujourd'hui, je suis aux premières loges de mon pire cauchemar. Je suis entourée d'autres filles de mon âge, qui tremblent tout autant que moi. Derrière moi, il y a les plus âgées, et, à ma gauche, les garçons. Même eux ont peur, sauf les plus grands qui savent le cacher.

Je regarde l'estrade devant moi. Deux énormes boules en verre y sont installées, ainsi qu'un écran géant. Les précédents vainqueurs du District sont assis au fond, le regard vide, et je reconnais la fille sélectionnée l'année dernière et qui a remporté les Jeux. Elle a tué, et elle semble s'en vouloir. Je le sais parce que son visage d'habitude si joyeux n'affiche même plus un sourire, ses yeux bruns pétillants de joie de vivre sont désormais vides et ternes, et ses cheveux longs si soignés ont été coupés très court. Elle porte également une immense cicatrise sur toute la joue droite, et elle a failli perdre un œil.

C'est alors que le maire, un vieil homme à l'air aigre, s'avance pour lire le traité de Trahison. Je crois que ceux de dix-huit ans le connaissent par cœur, ce traité, car il est lu chaque année. Je ne veux pas l'écouter, parce que ma famille m'a dit que c'était faux, et qu'il ne fallait pas y croire. Alors, je pose mon regard sur l'hôte du District. C'est bien un homme, même si je croyais que c'était une femme. Il porte des chaussures à talons roses, un pantalon moulant noir mat, une espèce de tunique ample motif panthère, mais rose également. Le pire, je crois que c'est ses cheveux longs qui trainent par terre. En plus, ils sont verts. Vert fluo. C'est horrible. Une longue mèche lui cache ses yeux noirs d'encre zébrés de jaune. A n'en pas dormir la nuit.

L'hymne de Panem qui retentit sur la place me fait sursauter. C'est le film résumant la rébellion et les Hunger Games qui commence. Encore une fois, c'est le même depuis des années. Enfin, je crois. L'envie de voir ma sœur me prend soudainement et je me retourne brusquement. Elle est bien là, tendue mais l'air sereine, le regard fixe et déterminé. Nos yeux de couleur identique se croisent, et elle me lance un sourire réconfortant. Je hoche la tête pour la remercier puis me retourne. J'ai peur et mes mains tremblent. Le film s'arrête, et je suis contente de ne pas l'avoir regardé, car les filles à mes côtés ont l'air bouleversées et terrifiées.

« Bien, bien ! Mesdemoiselles, Messieurs, nous allons procéder au tirage ! Qui aura donc l'honneur de représenter son District aux Hunger Games ? Voyons les dames. »

La voix aigüe de l'hôte me perce les tympans. Il se dirige vers la boule en face de moi et des autres filles, et une peur monstre me tord le ventre. J'ai l'impression que je vais exploser. Mon nom n'est noté qu'une fois, ça ne peut pas tomber sur moi ! Allez, c'est sûr, une inconnue va être choisie, et tu pourras rentrer tranquillement chez toi. Dans le pire des cas, quelqu'un prendra ta place. Sauf que, dans mon District, personne n'est jamais volontaire, à part à de rares occasions.

Ça y est, la main de l'hôte est à l'intérieur de la boule, il touille et farfouille les papiers, puis se décide à en prendre un. Il se tient droit, déplie avec soin le papier et donne un nom. Le mien. Je m'écroule intérieurement, mais, à l'extérieur, mes jambes me paraissent lourdes comme du plomb. Qu'est-ce que je dois faire ? Tout le monde me regarde, mais, je ne sais pas quoi faire ! A l'aide, aidez-moi !

« Allez, allez ! Approche, n'ai pas peur ! me parvient l'horrible voix de l'hôte. »

Mes jambes répondent enfin à l'appel, et j'arrive difficilement à l'estrade. Je chute même en montant les escaliers, mais aucun rire n'accompagne ma chute. Je leur en suis reconnaissante. L'hôte me prend la main et me demande mon âge, puis se lamente sur le fait que je sois très jeune. Il demande des applaudissements, et la foule s'exécute, contrainte. Personne n'est volontaire.

Je sais alors ce qui m'arrive : je suis dans un rêve.

Mes yeux croisent alors ceux  de ma sœur, et je reviens sur terre. Elle est abasourdie, horrifiée et elle se tourne instinctivement vers nos parents et notre frère. Ils sont là, ma mère à terre, mon père la soutenant, et mon frère me fixant pour me redonner courage. Que dois-je faire ? D'autres applaudissements retentissent, et je vois un garçon s'avancer du rang de ceux de quinze ans. Il a l'air effrayé et de ne se pas rendre compte de ce qui lui arrive. Je le comprends, car je ne sais toujours pas ce que je dois faire, et comment. L'autre tribut s'avance, l'hôte le questionne, puis nous devons nous serrer la main. Je n'ose pas approcher, mais ses yeux bleus sont si rassurants que je lui murmure en même temps :

« Ne m'abandonne pas. »

Je m'appelle Luna Fillige et je suis la tribut du District Trois des quarante-septième Hunger Games.