Les Jeux sont cruels. Ca tout le monde le sait. Même ceux qui se voilent la face, même ceux qui pensent aimer regarder chaque année vingt-quatre enfants se faire massacrer dans une Arène, et même ceux qui les ont créés. Mais je pense qu'ils sont bien moins cruels que ce qu'est ma vie.
Ma vie est un enfer. Rien qu'un putain d'enfer. Je vais tous les jours à la mine pour rapporter ne serait-ce que de quoi nous acheter un morceau de pain au marché noir. Je pioche à longueur de journée, en respirant cette fumée qui est en train de me tuer. J'ai les poumons aussi noirs que le charbon et la gueule assortie quand je ressors de ce trou. J'arrive plus à respirer, j'ai l'impression que tout ce que j'inspire m'est inutile. J'ai mal partout.
Non, personne ne peut imaginer ce que j'endure. Cette douleur à la poitrine, dans tous mes membres, cette pression qui me fait me plier sur moi-même quand l'oxygène me manque. Cette fatigue extrême que je suis las combattre chaque jour. Ouais, j'en ai ma claque. J'en ai marre de cette vie de merde. Depuis que je suis gosse on me traine dans ce trou à rats, pour tirer les chariots ou éclairer ces pauvres gars survivants. Je veux qu'on me libère de ce poids. J'aimerai crever une fois pour toutes.
Y a que mon père qui me retient ici. Je peux pas partir volontairement, je peux pas le laisser seul. Lui, il peux plus aller à la mine : elle l'a déjà usé jusqu'à la moelle. Il a déjà tout donné. Alors il s'occupe comme il peut de son fils malade, en allant lui chercher ses cachets hors de prix, en le réconfortant quand il fait ses crises, en nettoyant le bile qu'il recrache lorsqu'il n'arrive plus à respirer.
D'ailleurs, je le vois d'où je suis. Je suis au dernier rang, bien droit, comme tous les autres gosses du District regroupés sur la place. Tous sans exception. Personne n'était en train de crever aujourd'hui. Du moins en apparence. Parce que moi je le suis. Mais comme je peux encore marcher et que je ne suis pas en train de me débattre en gueulant sur un lit trempé de sueur, cela signifie pour ces enfoirés que je suis éligible. Sans doute pourront-ils me soigner au Capitole. Je les emmerde, leurs traitements. Je n'en veux pas. Plus du moins.
Le même discours, le même film, que seuls les plus jeunes écoutent. Une belle connerie. Qu'ils tirent au sort, et que cela tombe sur moi. Que ça en finisse !
Je lance un regard vers mon père. Il est beau aujourd'hui. Droit et fier, il porte un vieux mais superbe costume pourpre. Et une cravate : grise. Ses cheveux que j'ai tondus hier reflètent les rayons du soleil, et son regard est vif sous ses sourcils épais. Mais il est fatigué lui aussi. Et plein d'espoir : que je ne sois pas élu. Si je ne suis pas tiré cette année, je ne le serais plus jamais. Pour lui, c'est sa dernière année de supplice. Pour moi, si je ne suis pas élu, ce sera ma première.
C'est pourquoi, quand la femme plonge la main dans la sphère qui contient les noms des dames, j'en viens même à espérer que mon nom se trouve à l'intérieur. Mes poumons ne pourront pas m'emmener jusqu'à un âge où la plupart des gens aimeraient quitter ce monde. Mes jours sont comptés. C'est un compte à rebours, qui devient de plus en plus pressant au fil du temps. Car plus la date limite se rapproche, plus la souffrance grandit. La douleur et ma durée de vie sont inversement proportionnelles. Dit comme ça, tout parait simple.
Ce serait encore plus simple si la pouffiasse pouvait dire mon nom. Je la fixe, elle et ses faux cils, en train de déplier ce petit papier blanc taché de deux mots : un nom et un prénom. Peut-être les miens. Il le faut.
Ses lèvres forment un O quand elle prend son souffle. Puis c'est la libération. Enfin. La douleur va s'en aller. Enfin je vais pouvoir quitter ce monde merdique sans me sentir responsable. Sans culpabiliser pour mon père.
Les larmes me piquent les yeux et dégoulinent sur mon visage. Je monte sur l'estrade, je cherche mon père. Il est là, il ne pleure pas. Il sait ce que j'en pense, alors, il est content pour moi. Il pleurera quand je serais mort. Quand je serais en paix.
La pouffiasse demande mon âge, je la renvoie chier. Elle me fait serrer la main d'une gamine de quinze ans à priori. Elle est jolie, le teint pâle, les cheveux raides, des bras musclés et une posture vigoureuse. Et le port de tête droit. Je sens qu'elle ne comprend pas le sourire qui illumine mon visage. Elle est sûrement dégoûtée par ma personne. Mais je n'en ai strictement rien à foutre. Il vaut mieux qu'elle crève avec moi. Rien de bon ne l'attend après ça.
Il n'y a rien de plus doux que la mort.
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Le Jour Décisif
FanfictionChaque année, un jour est redouté ou attendu par tous les enfants de douze à dix-huit ans. Ce jour, où vingt-quatre d'entre eux seront choisis pour s'entretuer dans une Arène, où vingt-trois mourront et un seul en reviendra vivant. Ce jour se nomme...