8-Rescapé de l'enfance

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Ma dernière Moisson. Je devrai être anxieux tout en étant soulagé, mais je ne sais pas quoi trop penser. Si j'étais choisi ? Je serai le garçon le plus malchanceux du monde, car je suis sûr de mourir. On meurt toujours dans le Dix. C'est alors complètement perdu que j'ai enfilé une vieille chemise à carreaux et un pantalon en toile que je remets tous les ans. Mes chaussures trop petites me font mal aux pieds, mais c'est les seules un peu habillées que je possède. Ma famille m'a accompagnée : mes deux frères de douze et quinze ans, ma sœur de sept ans, et mes parents toujours aussi horrifiés à l'idée que trois de leurs enfants soient éligibles chaque année. L'année prochaine, il n'y en aura que deux, mais, s'ils ne voulaient pas avoir à subir cette épreuve, ils n'avaient qu'à pas en faire. Je n'en aurai jamais, d'enfants. C'est du travail en plus et de la peur jusqu'à leurs dix-neuf ans.


Je me range avec les autres garçons de mon âge, au pied de l'estrade. Je peux voir de très près les boules en verre débordant de papiers blancs, les écrans déroulés de chaque côté de la place et l'horrible hôtesse de notre District.


Habillée d'un top moulant doré, d'une jupe extra-courte noir mat, de grandes bottes à talons aiguilles motif panthère, elle est affreuse. Elle a de courts cheveux noirs méchés « coiffés » en pétards, une peau sombre, des dents limées et le pire, la panoplie du chat. En effet, une longue queue noire ondule dans son dos et de longues moustaches sortent de ses joues, sans oublier les lentilles vertes assorties. Une atrocité venue du Capitole, tout simplement. De plus, sa voix ressemble à un ronronnement mutant en une voix qui essaye d'être féminine. Si je le pouvais, je lui arracherais ses moustaches une par une en la regardant pleurer. Mais pour cela, il faudrait que je sois tiré au sort, et j'ai envie de tout sauf ça.


Mon regard se porte vers le maire du District, une élégante femme aux cheveux blonds platine relevés en un chignon serré et au regard dur comme fer. Elle se tient droite comme un i, raide comme un piquet tandis qu'elle lit le Traité de Trahison. Je la regarde sans écouter, lassé de ce bout de papier lu chaque année par la même voix monocorde et dépourvue d'émotion. Je pousse un soupir afin de me détendre, car les garçons à mes côtés commencent à s'agiter, nerveux. Je n'imagine même plus la tête des petits de douze ans. Leur regard est si poignant, leur bouille portant encore tellement de traces de leur enfance, que j'en ai les larmes aux yeux à chaque fois que je les regarde. L'image de ma sœur s'impose à moi, et je dois secouer la tête pour chasser toute pensée de mon esprit. 


« Joyeux Hunger Games, et puisse le sort vous être favorable ! »


Mon dieu ! La voix mutante du chat à deux pattes me ramène brutalement à la réalité. Je la vois sautiller, ricaner, et tourner lentement sa main au-dessus de la boule des filles afin d'en sortir un papier. Ses pattes le déplie, le retourne dans tous les sens jusqu'à enfin lire le nom. Une fille s'effondre à droite. Elle a dix-huit ans, et est plutôt jolie, ce qui est rare dans le Dix. De courts cheveux châtains, de jolis yeux verts tachetés de marron, un visage plutôt carré, mais élégant. Elle effondré sur le sol, et des Pacificateurs sont obligés de la trainer sur la scène. Elle est toute tâchée et perd de son charme. Dommage, je suis sûr qu'elle aurait eu des sponsors... De plus, sa voix tremble lorsque le chat mutant lui demande son âge, ce qui la rend encore plus fragile. J'ai bien envie de lui sourire, mais je pense plus à moi sur le moment. Pensée égoïste, bien sûr, mais qui ne l'est pas lors de la Moisson ?


Un garçon à mes côtés se rapproche de moi, mais je ne peux m'écarter. Je le sens alors prendre mon bras et le serrer fort. Je me dégage violemment et je sens une multitude de regards posés sur moi. Je me retourne et leur en lance un bien noir :


« Quoi ? On est des mecs non ?

-Il est traumatisé pour sa famille ! commence un garçon. S'il est choisi...-Tu crois que ça me fait quoi de laisser ma famille en plan ? On est tous pareils, alors arrêtez de faire vos gonzesses ! je crache. »


Les gens reculent et s'écartent de moi. J'ai les nerfs à fleur de peau, et les faibles m'exaspèrent. Pas que je ne sois pas faible, mais je ne montre pas.


Toute l'attention est alors reportée sur l'hôtesse grâce au maire. Celle-ci m'a menacé de flagellation si je ne me taisais pas. J'ai hoché la tête, obéissant. De toute façon, il ne vaut mieux pas lui tenir tête. Je regarde alors la main de l'hôtesse prendre un papier, et je sens le stress monter d'un coup en moi. Je me retiens de trembler et mes poings se contractent de leur propre gré. Pas moi, s'il-vous-plait, pas moi !


« Laurio Armand ! »


Ce n'est pas moi. Ce n'est pas moi ! Je ne vois même pas l'enfant de treize ans qui s'avance en trébuchant sur le sol sec tellement mon soulagement est immense. J'ai survécu aux Jeux, aux Hunger Games, au Capitole ! J'ai survécu à mon enfance ! Sain et sauf, je ne connaitrai jamais ces horribles Jeux ! Mon dieu merci. Je suis un rescapé. Un rescapé de l'enfance.

Le Jour DécisifOù les histoires vivent. Découvrez maintenant