« Tu es parfait mon ange.
-Arrête ça, j'suis pas ton ange ! »
Ma mère m'énerve, alors je lui réponds méchamment. Je ne le fais pas exprès, mais je suis tellement anxieux que je dois le cacher. J'avoue que je ne suis pas si mal que ça, mais je déteste quand elle me le répète sans cesse en me prenant pour son fils adoré. Pff, avec mes deux autres frères bien plus beaux et forts que moi, elle continue de s'acharner sur moi... Juste parce qu'elle a peur que je sois choisi lors de la Moisson, qui se déroule aujourd'hui.
Agacé et n'en pouvant plus, je me lève d'un coup de mon lit de fortune et sors de la maison, sans dire un mot. Je l'entends pleurer et me supplier de revenir, tout ce que je trouve à faire, c'est de me retourner et de lui envoyer un sourire éclatant. Elle ne saura pas comment le prendre, et c'est parfait ! Je me dirige vers la ville principale. Comme c'est loin ! Heureusement, il est neuf heures du matin, je ne risque pas d'être en retard. Si ça se trouve, je trouverais un agriculteur en charrette qui acceptera de m'accompagner...
Dommage pour moi, je ne croise personne sur la route sèche et j'arrive pile à l'heure. Je suis en sueur et je commence à trembler légèrement. Pitié, que personne ne le remarque ! Il ne me reste plus qu'à me ranger avec les autres. Quand on raconte que mon District est immense, c'est la pure vérité. Mais nous ne sommes pas si nombreux en fait. Il y a la ville principale, où se déroule la Moisson, puis d'autres villages minuscules, de vingt habitants tout au plus, et enfin des maisons paumées au milieu de rien, comme la mienne. Oh, pour les autorités et tout ça ? Ne vous inquiétez pas on reçoit la visite de Pacificateurs au moins une fois par jour. On les voit passer par la fenêtre, et s'ils voient quelque chose de suspect, ils viennent vous défoncer la porte et braquer leurs fusils sur votre tête.
D'un côté, c'est pas plus mal d'avoir repensé à tout ça, car la lecture du Traité de Trahison a été expédiée, et il ne me reste plus que le film à regarder. On y voit l'affreux Jojo, comme disent mes frères, répéter sans cesse que les Districts sont les seuls fautifs et qu'on mérite de se faire massacrer chaque année tant que ça leur plait. S'en suit quelques scènes cultes des Jeux, comme la finale entre deux tributs où le vainqueur gagne alors qu'il est en sang. Imaginez-vous maintenant la tronche qu'avait l'autre... Après cette magnifique œuvre cinématographique, l'hôtesse du District arrive, en lévitation grâce à d'horribles chaussures, à moitié dénudée. Cela m'étonne, parce que, normalement, les hôtes ou hôtesses de District ne viennent jamais procéder au tirage à moitié à poil. De toute façon, ça ne change rien, elle est toujours aussi laide. En plus, sa peau est verte. Beurk.
Sa petite voix nasillarde m'agace encore plus que je ne le suis déjà, et je ne l'écoute même pas. Cette attitude moqueuse et dénuée de considération que j'adopte ne me sert juste à ne pas craquer. Si je ne m'enfermais pas dans cette carapace, je crois que je serais assis par terre à chialer comme un môme. Tiens, l'autre pomme pas mûre lévite vers la boule des filles. Elle en ressort un petit papier à l'air moisi peu après, puis elle annonce le nom de la malheureuse à peine le papier déplié. Je vois la tirée au sort s'effondrer sur le sol, et les filles qui l'entourent reculent précipitamment, comme dégoûtées, ou bien effrayées. Les lâches... Je ne leur en veux pas, mais je n'aimerais pas que l'on me fasse ça. La fille monte sur l'estrade, un fusil dans le dos, et la pomme verte lui demande son âge. J'apprends alors qu'elle a quatorze ans, et mon regard croise le sien, d'un magnifique vert pourtant bien rare dans le District. Ici, on est tous noirs, les yeux bruns, et les cheveux frisés. C'est à cause du soleil et de notre travail, essentiellement en extérieur.
Mes mains tremblent lorsque l'hôtesse se plante devant la boule des garçons, un horrible sourire étirant ses lèvres presque inexistantes. Un frisson me parcourt lorsque sa main entre en contact avec ces centaines de papiers, pour n'en ressortir qu'un seul. Elle l'ouvre trop vite à mon goût, manquant de le déchirer, puis annonce un prénom suivit d'un nom. Et là, ce n'est pas un frisson qui me parcourt, mais un courant électrique qui me fait sursauter en faisant disjoncter mon système nerveux au passage. Et un seul mot me vient à l'esprit : Maman. Elle doit être écroulée... Et dire que je ne lui ai même pas dit au revoir... Elle ne pourra pas venir, trop de travail, trop loin, trop dur... Ma carapace si bien forgée au fil des années se fendille, et je sens un goût salé sur mes lèvres sèches.
Deux secondes plus tard, je me retrouve avec un fusil dans le dos, comme la fille quelques minutes plus tôt, et je me retrouve sur l'estrade. Tout est perdu, je suis mort d'avance. Mais le temps s'arrête autour de moi lorsque je vois un garçon de dix-huit ans sortir de son rang et se poster dans l'allée séparant les garçons et les filles. Il doit être fou. Il va se faire tuer ! Va-t'en de là ! Soudain, trois mots sortent de sa bouche, trois mots qui résonnent en moi comme une bénédiction.
« Je suis volontaire... »
Son regard veut être fier et sûr, mais je sens qu'il peut défaillir à chaque instant. Mais je sais que ce gars peut gagner, il est bien bâti, et il a fait un choix : le choix de prendre son destin en main. Lorsqu'il arrive sur l'estrade, mes jambes me lâchent et je tombe devant lui. Je dois lui inspirer de la honte et du dégoût, mais ce garçon est mon sauveur, alors je me prosterne devant lui, le remercie autant que je le peux. C'est un don du ciel. Mais les pacificateurs viennent bientôt me relever brusquement et m'entrainent loin de lui. Mais je me sens lâche de l'abandonner, surtout au moment où je croise son regard qui s'est rempli d'honneur mais de tristesse. Il est fier de son geste, mais il se croit voué à la mort. Alors, je lui lance tant bien que mal un objet, celui que j'aurais voulu prendre avec moi dans l'Arène, celui qui compte le plus à mes yeux : ma gourmette de famille.
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Le Jour Décisif
FanfictionChaque année, un jour est redouté ou attendu par tous les enfants de douze à dix-huit ans. Ce jour, où vingt-quatre d'entre eux seront choisis pour s'entretuer dans une Arène, où vingt-trois mourront et un seul en reviendra vivant. Ce jour se nomme...