Natoltesse

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Le ciel était morose et timide ce jour-là. Le chant habituel des oiseaux était absorbé par les bruits des élèves qui descendaient de la colline de Mbobero.

Sous le feuillage des arbrisseaux qui environnaient le devant de la clôture du collège Saint-Paul, Mwami, surnommé Mwami réfectoire à cause de son penchant pour la nourriture, était assis, un parapluie à la main, sur des papiers usés, sans doute qui lui avaient servi de brouillons d'exercices de Math.

Tous les élèves qui circuleraient aux alentours le contemplaient intensément, comme s'ils étaient frappés de quelque stupéfaction. Les fenêtres des dortoirs étaient remplis d'internes qui admiraient Mwami tout en se contant des fables.

Même les éducateurs qui marchaient par là, n'en croyaient pas leurs yeux.

Déjà treize minutes venaient de s'écouler et Mwami était assis sans parler. Puis subitement il s'adressera à la demoiselle :

_Alors, tu te plais ici ? lui a-t-il demandé.
_Plus ou moins oui, a-t-elle répondu. Mais je ne connais pratiquement personne et c'est ma première année ici.
_Tu vas vite te faire des amis, crois-moi, a-t-il enchaîné, les Saint-paulois sont naturellement amicaux et très accueillant.

La discussion avait duré environ une heure et demie. Ils ont parlé d'histoires farfelues de l'internat, des sobriquets que l'on donnait aux professeurs, des activités culturelles et béguine, et d'autres choses diverses et variées.

Dès son retour aux chambrées, il lui semblait que les journalistes de la BBC l'attendaient fiévreusement pour une conférence de presse. Il pleuvait des questions quasiment partout. D'abord ses collègues de promotion, ensuite les aînés et même les cadets voulaient en savoir un peu plus sur la scène spectaculaire à laquelle ils venaient d'être témoins.

Comme tout pupille Saint-paulois qui se respecte, il se mit à se vanter, à relater qu'avec la fille ça marchait déjà bien, qu'elle était marrante, etc....

Le lendemain à la récréation, Mwami et la demoiselle s'étaient calé devant la porte d'entrée de l'institution où se tient debout chaque matin le recteur afin de guider la prière lors du rassemblement ou annoncer des nouvelles. Elle le fixait et il la fixait. Personne ne jasait. Elle sourit légèrement et Mwami, en faisant l'identique, la salua de la main :

_Salut Natoltesse.
_Bonjour, ça va ?
_Je vais bien et toi ça va ?
_Ouais ça va bien.

Natoltesse parlait calmement, comme une religieuse. On ne savait si c'était par timidité ou par mépris. Pourtant elle avait belle allure : élancée, mince, d'une peau un peu brune, coiffée comme une Cirezienne.

Ce qui constituait son charme singulier était sa démarche rythmée, comparable à une tortue qui médite.

À la sortie de classe, pendant que Mwami se pressait pour copier le résumé au tableau, dehors Natoltesse se tenait debout avec un autre élève de 4e. Il était costaud et plutôt bel homme, ce qui lui valut le pseudonyme de Clausto.

À peine sorti de classe, deux des camarades de Mwami vinrent lui dire qu'il était évincé par Clausto. Pour en avoir le cœur net, il se dirigea vers l'endroit où se déroulait son détrônement prématuré. Natoltesse avait mis la veste de Clausto et cela constituait déjà cinq points de plus que lui. Ils discutaient, elle souriait.

Mwami aurait tout donné pour entendre leur conversation. Clausto menait le jeu pour le moment. Pour Mwami ceci représentait une déclaration publique de la guerre. Il se résolut donc à fournir plus d'efforts pour conquérir l'égérie avant qu'elle ne succombe aux allégations de Clausto.

Deux jours plus tard, Mwami avait acheté une montre de marque rolex à Natoltesse. Le lendemain, Clausto avait offert une écharpe Gucci à la très convoitée. Une semaine après, Mwami avait remis à notre adorable désirée cinq dollars américains pour la collation. Cette tentative de conquête de la jeune fille a vite tourné en une espèce de démonstration malsaine de force.

Recueil de nouvelles IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant